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Congo-Brazzaville : la France aux abonnés absents face aux curieux résultats des élections législatives

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Libération

Par Maria Malagardis — 23 juillet 2017 

Enfin ! Après cinq longs jours d’un suspense, qu’on suppose insoutenable, les résultats du premier tour des élections législatives et locales qui se sont déroulées dimanche 16 juillet au Congo-Brazzaville ont été révélés vendredi soir. Pourquoi un aussi long délai dans un petit pays qui ne compte pas plus de deux millions d’électeurs ? Mystère. Aucune explication officielle n’ayant justifié les raisons d’une telle attente. Mystère d’autant plus impénétrable qu’un grand nombre de candidats du parti au pouvoir, le Parti congolais du travail (PCT), auraient gagné dès le premier tour avec… 100 % des voix. Le décompte a donc dû être particulièrement facile.

Au total, le parti de l’inamovible président Denis Sassou-Nguesso, remporte ainsi, dès le premier tour, 70 sièges sur les 151 de la future assemblée. Seuls deux partis d’opposition et des candidats indépendants avaient accepté de participer à ce scrutin qui se déroulait un peu plus d’un an après la présidentielle de mars 2016, dont les résultats avaient été fortement contestés par une large partie de l’opposition, qui cette fois-ci appelait au boycott des urnes. Il est vrai que le principal challenger de Denis Sassou-Nguesso lors de cette présidentielle, Jean-Marie Michel Mokoko, a été emprisonné juste après le scrutin de 2016 et reste à ce jour incarcéré, sans aucune date de procès prévu. Il n’est pas le seul à croupir derrière les barreaux : nombre de supporters de Mokoko subissent le même sort, ainsi que d’autres leaders de l’opposition, comme André Okombi Salissa ou Modeste Boukadia, condamné lui à trente ans de travaux forcés en mai. Officiellement, après avoir remporté la présidentielle, Sassou-Nguesso, au pouvoir depuis 1979 avec une seule interruption de cinq ans, est donc désormais assuré de voir son parti et certains de ses nombreux enfants dominer la future assemblée nationale.

Silence assourdissant

Une «divine surprise» qui ne suscite que peu de commentaires, et encore moins de critiques, de la part de la communauté internationale. Et notamment de la France. A Brazzaville, la résidence de l’ambassadeur de France a beau être un monument historique – la fameuse « case De Gaulle » qui accueillit en des temps périlleux le chef de la France Libre dont Brazzaville fut la capitale –, son locataire brille souvent par son silence.

«Lors de l’audience devant la Cour suprême de Brazzaville où fut évoquée la détention arbitraire de mes clients en juin 2015, l’ambassade des Etats-Unis a envoyé deux observateurs, l’ambassade de France, aucun. Elle, était terrorisée à l’idée même qu’un de ses employés soit vu en ma compagnie», révèle maître Dominique Inchauspé, avocat de deux policiers et un huissier de justice, détenus sans procès depuis 2013 et torturés pendant cette détention arbitraire. Laquelle vient d’être condamnée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève qui a exigé la libération immédiate de ces prisonniers.

De la même façon, le consul de France à Pointe-Noire, Jean-Luc Delvert, n’a pas jugé utile d’assister à la seule journée du procès de Modeste Boukadia, qui est pourtant également citoyen français. Certes, la justice française, mais aussi australienne, canadienne ou portugaise, s’intéresse de près aux dépenses faramineuses des enfants du clan Sassou. Rien que cette année, six membres de la famille proche ont été mis en examen par la justice française dans l’enquête des «biens mal acquis» qui touchent plusieurs présidents africains et leurs entourages. Des appartements et villas ont aussi officiellement été saisis. «Saisis, mais pas confisqués», précise maître William Bourdon à l’origine de certaines de ces plaintes.

Ainsi la villa Suzette au Vésinet, dans la banlieue parisienne, dont la «saisie» avait été annoncée triomphalement en août 2015, continue d’accueillir Antoinette, épouse du président congolais. «Mais en cas de condamnation, elle sera confisquée», explique-t-on. Entre-temps, les fonds circulent, les élections se suivent, et le Congo-Brazzaville s’enfonce dans la misère et la répression. Dans un silence assourdissant.

© Libération (23/7)

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