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Yhombi Opango, homélie

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Owando : homélie lue lors des obsèques du président Yhombi Opango

Par le Père Urbain Braginel lkonga

Excellence Mr le Président de la République et Madame

Excellence Mgr Victor Abagna Mossa Archevêque D’Owando

Chers Frères et Sœurs, en vos rangs, grades et fonctions

Le 30 Mars dernier, au plus fort de la pandémie de la Covid 19 dans le monde, et soumis aux contraintes du confinement, nous apprenions, incrédules et déchirés au plus profond de notre être, la nouvelle du décès du Général Jacques Joachim Yhomby-Opango, arraché à notre affection à l’âge de 81 ans à l’hôpital américain de Neuilly-sur Seine près de Paris.

Oui, l’énigme du temps marque la finitude de l’homme, car nous ne savons comment nous y prendre devant ce temps qui passe, le temps Chronos. Comme dit le psalmiste : « …Nos années s’évanouissent dans un souffle. Le nombre de nos années ? Soixante-dix, quatre-vingts pour les plus vigoureux ! » Ps 90.

Dans notre environnement culturel articulé en relation avec l’espérance de vie au Congo, nous dirions certes, qu’il est parti à l’âge adulte. Cependant, la densité affective, l’utilité de sa présence et le symbole qu’il incarnait pour sa femme, pour ses enfants, pour sa famille, pour la nation congolaise et surtout pour la ville d’Owando ne consentent pas d’accepter, de digérer facilement le fait irréversible de sa mort.

« Grands sont ceux qui après eux laissent beaucoup de gens dans le désarroi » disait Diderot.

La disparition sous les yeux de la chair de celui qui a marqué d’une

empreinte significative ses concitoyens est, de toute évidence, une grande perte dont la mesure de la portée est en partie visible par les nombreuses manifestations de solidarité, de compassion et de consternation à l’arrivée de sa dépouille à Brazzaville et dans la ville d’Owando.

Chers Frères et Sœurs

C’est avec grande émotion que je me tiens près de la dépouille de celui que notre communauté pleure en ce moment.

J’exprime ma vive gratitude pour le privilège que l’Archevêque d’Owando, son Excellence Mgr Victor Abagna Mossa, m’est accordé de prononcer cette homélie en guise de souvenir des liens établis personnellement avec le Général Jacques Joachim Yhomby-Opango.

Au nom de l’archevêque d’Owando et en mon nom personnel, j’adresse mes condoléances les plus attristées à la veuve Marie Noëlle Yhomby-Opango, aux enfants, à la famille et à tous ceux qui sont venus de divers horizons pour soutenir la famille biologique de l’illustre disparu et témoigner de leur affection pour sa mémoire par la présence et la prière. Votre présence est un témoignage d’amour. Car « Le plus beau tombeau de ceux qui sont partis est le cœur de ceux qui les ont aimés »

Un proverbe kouyou dit : « Otema aha olingui moro, itabi lipoua »

Le mystère de la mort bien souvent nourri notre anxiété malgré la certitude chrétienne de voir et de vivre le face à face avec le Père. En effet, toute séparation laisse derrière soi une pointe de douleur, le sentiment de l’abandon, un vide que nul ne peut combler.

D’ailleurs, la foi en la résurrection et l’affection à l’égard des personnes qui nous sont chères ne nous dispensent pas de verser les larmes de douleur au moment du détachement.

En effet, Jésus a pleuré pour son ami Lazare. C’est le ressenti de notre humanité. C’est le ressenti actuel des Congolais, c’est le ressenti de ceux qui ont aimé le Général Yhomby et malgré son départ vers la maison du Père, continueront à l’aimer

Les pleurs, dus au détachement terrestre, ne doivent donc pas prévaloir sur la certitude de la résurrection, sur l’espérance de parvenir à la béatitude de l’éternité.

Bien- aimes de Dieu,

Le Général Jacques Joachim Yhomby Opango dans le silence de la mort reste miséricordieux et intercède pour nous comme Jésus dans l’évangile que nous venons d’entendre.

Les premières paroles de Jésus sur la croix furent : « Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Dans ces premières paroles, Jésus intercède en faveur de ceux qui l’ont crucifié et ouvre grand les portes au voleur repentant.

« Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis ». Un simple acte de confiance en Jésus, un simple regret profond de ses actes mauvais, et ce malfaiteur obtient l’assurance de la vie éternelle. En somme, Jésus sur la croix a changé la plus grande douleur, injustement infligée à l’unique homme vraiment innocent de toute l’histoire, dans le grand amour.

« Ils ne savent pas ce qu’ils font » Voilà qui rejoint tous nos péchés, notre aveuglément quand nous pensons qu’un mal pourra nous faire du bien.

Quand nous n’avons pas toujours conscience de toutes les conséquences désastreuses de nos agissements

« Ils ne savent pas ce qu’ils font », quand du fond de nos cœurs, nous nous réjouissons en disant : « Nous avons traqué le juste, car sa vie condamnait nos œuvres »

Parce qu’il n’est pas de notre obédience, de notre ethnie. Nous préférons les bricoleurs, les théoriciens et les affinités autrement dit le « moro oboso » à la place des gens compétents et pragmatiques.

« Ils ne savent pas ce qu’ils font » Quand la voix du peuple s’est portée sur le criminel Barrabas plutôt que sur le Messie. Cette voix illustre également notre attrait malsain à l’hypocrisie, notre tendance aux changements d’avis au gré de nos intérêts du moment, et notre propension plus ou moins consciente à suivre celui qui semble le plus fort.

« Ils ne savent pas ce qu’ils font » condamner le juste ou les gens capables de faire avancer les choses et laisser les délinquants jouir de leur liberté et continuer à commettre de plus bel des actes de vandalismes, de barbaries et de vols ne leur pose aucun problème de conscience et ne touche en rien leur sommeil.

Mais, « il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent ». disait Voltaire

Oui, sur la croix le témoignage de Jésus est celui de l’innocent qui répond à la violence par la douceur, à la haine par la bonté, à l’agression par le pardon.

Sur la croix, Jésus a subi la trahison du disciple qui l’a vendu et du disciple qui l’a renié. (adouhi ilengui). Il a été trahi par les gens qui l’acclamaient et qui ensuite ont crié « Qu’il soit crucifié ! » Leboma wa ! Mt 27,22

IL a été trahi par l’institution religieuse qui l’a condamné injustement et par l’institution politique qui s’est lavé les mains.

« La chose la plus douloureuse c’est d’être trahi par celui qui a promis de vous être loyal et proche » Pape François

Dans l’épaisseur du silence de la croix, le bruit des armes cesse. C’est le langage de la réconciliation, du pardon, du dialogue, de l’amour qui triomphe du mal, de la paix qui est parlé. C’est l’amour qui ouvre la voie de l’unité en écartant toute forme de discorde.

Sur la croix, Jésus pouvait convoquer une légion céleste pour combattre à ses côtés. Il ne cherchait pas à pratiquer la vengeance sur ses agresseurs. Au contraire il s’est offert lui-même avec grands cris et larmes.

« Là où le péché célèbre sa domination en augmentant sa puissance mondaine avec des sacrifices humains, Jésus par sa mort sur la croix barre la route à la multiplication de la violence. IL épargne le sang de l’autre en s’offrant soi-même en sacrifice d’amour. » dit le Pape François

Sur la croix dans l’évangile de la passion le spectacle d’un innocent condamné est affligeant : Les hommes se divisent

Pierre qui a renié Jésus, nous renvoie à notre manque de courage quand il s’agit de témoigner.

Pilate à notre lâcheté quand nos intérêts passent avant la justice et la vérité.

Hérode et Pilate, un couple qui symbolise notre complicité dans le mal et très souvent pour condamner les innocents. Pour faire le mal, Hérode et Pilate devinrent amis et complices. Alors qu’auparavant il y avait l’hostilité entre eux

Joseph d’Arimathie est l’icône des courageux de l’histoire, des incompris de la vie, de ceux qui sortent de l’ordinaire quand il faut oser prendre le risque. Le risque de faire du bien lorsque personne d’autre n’ose le faire ou lever le petit doigt à cause de la peur de César. Joseph d’Arimathie un homme courageux qui alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus. Nous sommes arrivés à un tel affadissement des consciences que nous ne réalisons plus ce que signifie « témoigner de la vérité devant César ». Notre Seigneur nous jugera pour avoir été obéissants ou en complicités avec César dans le mal, alors que cela signifie désobéir à Dieu.

Oui, chers frères et Sœurs, le témoignage de Jésus sur la croix nous apprend à pardonner du fond de cœur. Chacun de nous certes a vécu des choses horribles. Mais nous ne devons point agir comme ceux qui nous ont fait du mal.

Antoine Leiris dans son livre intitulé : « Vous n’aurez pas ma Haine » disait « Je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes… »

Pour ceux qui assassinent nos vies, disait Mgr Lebrun, il ne s’agit pas « d’excuser les assassins, ceux qui pactisent avec le diable, mais il s’agit d’affirmer que tout homme, toute femme, toute personne humaine peut changer son cœur avec la grâce de Dieu »

Le chemin de la réconciliation ne nous demande pas d’oublier le passé ni d’ignorer, la souffrance et le mal fait, car pardonner ce n’est pas oublié, mais ouvrir à soi-même et à l’autre une possibilité d’aimer, de vivre, de faire un bout de chemin ensemble.

Le caractère particulier du chemin de la réconciliation est qu’il rapproche et rassemble ce qui était divisé. Il réunit ce qui était séparé. Il remet en lien ce qui était désuni. Il est indispensable à la mise en chantier de toute construction physique, psychique ou spirituelle.

L’effort à entreprendre vers le chemin de la réconciliation ou du pardon consiste à ne plus s’habituer à entretenir pendant longtemps l’appétit de vengeance, la rancune, « EKIBA », car c’est une bombe à retardement. C’est un sentiment qui nous détruit et ne nous grandit pas.

Il est impérieux d’ouvrir nos cœurs sans hypocrisie à « Otweré » dans son sens noble et non pas comme il est galvaudé aujourd’hui, vidé de son humanité, son « Omoro » ou « Okani-à-ndzoro » la dignité. En dépit de ce qu’actuellement le monde entier est perturbé à cause de l’argent, pour en avoir plein les poches, un vrai « tweré » ne devrait pas pour autant vendre son âme au diable à cause de la mendicité, « Otema » et de la lâcheté « Obolo ou Oguendze ».

« Otweré » invite à la sagesse, à la tolérance, à savoir se taire quand c’est utile, parler pour ne pas être complice du mal, convaincre et rassurer à coup d’argument et non par l’argument de la force. Les kouyou disent : « Ondzanga Ali’Ikabi »

Tous, nous devons envisager le processus de réconciliation ; car il est très mal de voir comment, les filles et fils du même pays donnent de la place à diverses formes de haine, de division et de vengeance.

Le processus de réconciliation ou du pardon, « n’est pas un oubli du passé, il est risque d’un avenir autre que celui imposé par le passé ou la mémoire » disait en substance le Père Jean Mombourquette.

C’est donc pour nous, ajoute-t-il, « un acte créateur, recréateur et libérateur qui ouvre un avenir nouveau, non déterminé par le passé ».

Permettez-moi, Son Excellence l’archevêque d’Owando, chers confrères, mes sœurs et mes frères, de dire un mot, en guise de témoignage, sur la personne du général Jacques Joachim Yhomby-Opango, dont j’ai eu fort heureusement l’insigne honneur de côtoyer le dernier mois de son pèlerinage terrestre.

Comme chrétien, le général était habité au plus profond de lui-même par l’espérance chrétienne et l’objet de notre espérance, en effet, est de jouir de la présence de Dieu dans l’éternité. Jésus l’a promis à ses disciples en disant : « Je vous verrai de nouveau et votre cœur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l’enlèvera » Jn16,22

Personnellement, j’ai été marqué par sa foi. Je le sentais aimer ces instants simples et intenses de prière, notamment au cours des célébrations eucharistiques que j’ai présidées, pendant mon séjour de deux semaines avant sa mort, chez lui à Vauréal. Oui, il aimait et réclamait ces moments de prière où il recevait l’eucharistie et le sacrement des malades.

Je crois que le Christ qui est tendresse et pitié, lent à colère et plein d’amour, vous dira : « Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie et la paix de ton maître ». Cette paix qui habitait son cœur car de son vivant, il a su reculer à plusieurs occasions ici à Owando ou ailleurs. Ado eeee ! « Ndzanga essaba yo, ali ehongo ».

Officier supérieur, il connaissait le métier des armes, et n’agitait pas ses arrières pour perturber la paix des autres. Mais savait conseiller pour la paix surtout en tenant compte des rapports de force. « Alihi ekia odzanga lobia eli lodohi no likongo kah ».

Disait –il en 87. Mais ses conseils étaient soldés par ceux qui n’ont pas le sens de la retenue par les injures : « ohiru amoro » « ekouendze ». Mais l’homme était sage. Un homme d’Etat, un homme pacifique, qui agissait avec responsabilité. Otwerè oboso ondzanga ongongo

Bien-chers Frères et Sœurs,

Le testament spirituel que l’illustre disparu laisse à sa famille et à son pays, le Congo, est essentiellement basé sur l’unité et la réconciliation.

Dans mes dernières conversations avec lui, sachant que son heure était proche bien que rien ne présageait encore le pire, il insistait sur l’unité dans sa famille et dans le pays.

À l’endroit de sa famille, il me confia, comme une prière, le vœu qu’il chérissait après son départ de ce monde : « Que chacun de mes enfants, disait-il, évite de poser des actes susceptibles de briser l’unité de la famille. Qu’ils évitent toute discorde et que l’amour, l’entente et l’unité règnent entre eux ».

Car la division est un piège pour détruire le tissu familial et une aubaine pour convoquer les forces du mal.

« Tout royaume, toute ville, ou toute famille qui a des conflits en son sein s’auto détruira, elle ne peut subsister » Mt 12,25

Aussi, conscient de ce que l’unité des filles et fils du Congo se révèle davantage profondément affectée, il n’a pas manqué à plusieurs reprises de souligner l’urgente nécessité de la réconciliation. Avec beaucoup de regret et un brin d’espoir il souhaitait « que s’ouvrent les voix du dialogue sincère entre les ennemis, que les adversaires se tendent la main, que s’exprime et se renforce tant de sollicitude envers le patrimoine commun que nous avons, le Congo ; Que ceux qui s’opposaient, acceptent de faire ensemble une partie du chemin »

Seul le Seigneur peut évaluer les fruits de la vie du général sur terre. Mais pour le peu que notre illustre disparu a eu la possibilité de faire, avec toutes ses limites humaines ceux qui l’ont connu et apprécié s’accordent à reconnaitre en lui une icône de l’excellence, de l’unité, de la rigueur au travail, de l’ordre et de la discipline. Un homme humble, simple, généreux et accueillant dans son intimité. Il y ‘avait chez lui, cet homme chaleureux, caressant le gout du luxe et du bien-vivre, une propension objectivement diversement appréciée

Chers Frères et Sœurs,

la dernière parole de Jésus sur la croix est : « tout est accompli », Le Fils de Dieu a accompli sa mission. Il ne s’est pas dérobé, il n’a pas choisi la facilité, il n’a pas fui les souffrances ni la mort. Mais présente au Père son cœur, pur de toute haine, pur de tout désir de vengeance. Ce cœur qui a tant aimé le monde, et qui maintenant le sauve du mal et de la mort.

« Tout est accompli », traduit aussi le repos éternel dans les mains du Seigneur. Comme disait Saint Augustin : « tu nous as fait pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi »

Oui, mon Général, « tout est accompli », Désormais comme pour paraphraser Mario : vous n’aurez plus le temps pour des réunions sans fin où l’on discute de lois, des règles, des procédures et des règlements, en sachant que cela n’aboutira à rien.

Vous n’aurez plus le temps pour supporter l’indécence, les humiliations, la mauvaise foi et de vous baigner dans la médiocrité ambiante.

Vous ne serez plus présent dans des réunions où défilent des egos agrandis, les manipulateurs et les opportunistes, qui ne discutent pas du contenu, seulement les titres.

Vous n’aurez plus à souffrir de la ruse des jaloux qui cherchent à nuire aux plus compétents, d’usurper leurs places, leurs talents et leurs réalisations.

Vous allez maintenant retrouver des gens, qui ne se gonflaient pas de leurs triomphes, qui ne se sentaient pas élus avant l’heure ;

Des gens qui ont rêvé une nation congolaise unie, travailleuse et prospère.

Votre objectif est d’être enfin satisfait de reposer dans la paix du Seigneur avec vos proches et votre conscience dans un monde où Il n’y a ni haine, ni division, ni calomnie, ni diffamation, ni vengeance, ni jalousie, ni désir de s’imposer aux autres à n’importe quel prix.

Un monde sans douleur, sans souffrance, sans injustice et sans méchanceté.

Que le Seigneur vous accueille dans les noces éternelles.

Père Urbain Braginel lkonga

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