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Décryptage du communiqué final de la mission du FMI au Congo

politique
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Lu pour vous

Par Hervé MAHICKA

Si je devais résumer en deux mots le communiqué final de la mission du FMI au Congo, je dirai qu’ils ont dit : « SASSOU, DEGAGE !» Sans ambigüité aucune.

Rarement en effet, un partenaire multilatéral n’est allé aussi loin que ce que vient de faire le FMI. Il confirme par là un agacement déjà trahi par le ministre français des Finances Le Maire, face à un régime qui multiplie les faux-semblants pour tenter de duper ses partenaires, sans tenir compte de la nation asphyxiée et de toute l’économie de la sous-région mise en danger mais en ayant pour unique objectif la conservation du pouvoir. Ça se voit comme le nez au milieu du visage et au bout de 30 ans de pouvoir, c’est indéfendable. Les mots étant mal compris dans les différentes réactions qui me sont parvenues, il convient de les éclaircir autant que possible.

La mission du FMI n’est pas allée par 4 chemins pour accuser « les faiblesses dans la gouvernance et la lutte contre la corruption » comme étant responsables de la dette insoutenable du pays. Ça veut dire directement que le FMI constate que Sassou gère mal et que son système est corrompu. La chute des prix du pétrole n’étant que la levée du voile qui a révélé un corps intégralement galeux. D’un ton impératif, le FMI affirme que : « les autorités doivent entreprendre des réformes audacieuses et immédiates dans le domaine de la gouvernance pour traduire en action la rupture avec les politiques et pratiques du passé proclamée par le gouvernement. »

Le FMI dénonce par-là, la gouvernance à coup de slogan qu’adore le régime de Sassou Nguesso, en constatant (en moquant même) son manque réel de volonté. En utilisant de adjectifs aussi radicaux que « immédiates » ou « audacieuses » pour une « réforme de la gouvernance », la mission renvoie à la mise en place d’un nouveau système institutionnel, de nouveaux managers et certainement pas à des jeux de chaises musicales autour du clan et de la tribu du président, ou à un changement de République, verbal, qui a perpétué les hommes et tous les vices décriés. De là à parler de nouvelles élections, il n’y a qu’un pas. Mais ce pas se précise plus bas.

Lorsque la mission dit se féliciter « de l’intention du gouvernement de publier une étude sur la gouvernance pour guider les futures réformes dans la gouvernance, la transparence, et la gestion des finances publiques », il faut comprendre par *se féliciter*, le fait qu’elle ait obtenu des engagements du gouvernement en ce sens. Il convient ensuite souligner le publier », qui indique que le « plan Sassou » des futures réformes, doit être le fruit d’une *étude* (le mot a un sens profond) et non d’une décision du conseil des ministres. Dire que le plan doit être *publié* signifie qu’il doit être connu du public et non secrètement transmis au FMI, ou se réveiller le matin avec un nouveau gouvernement portant un nouveau slogan. En clair, c’est une demande de dialogue ouvert et de concertation politique et populaire, de propositions techniques fiables et admises d’abord par l’opinion nationale. De là viendra sa légitimité. On ne demande pas une publication préalable pour le plaisir des oreilles. Le régime semble l’avoir clairement promis au FMI qui en a fait une condition, et celui-ci rappelle dans sa critique sur la rupture, que les faux-semblants n’ont convaincu personne jusque-là, il est inutile d’en tenter de nouveaux.

C’est ainsi que la mission, usant du même langage pour désigner les concessions obtenues, c’est-à-dire *se féliciter*, déclare que le gouvernement a aussi cédé sur l’idée « de créer un organe indépendant de lutte contre la corruption avec tous les pouvoirs d’investigation et un système de déclaration du patrimoine pour les hauts responsables ». En clair, le nouvel organe non inféodé au Président de la République doit pouvoir enquêter sur tout le monde, même le Président et sur le patrimoine de quiconque. L’injonction précisant « les grands projets d’infrastructure », les « entreprises publiques » et « notamment celles du secteur pétrolier ». C’est clairement les vaches sacrées de la famille régnantes qui sont visées ou du moins qui ne peuvent plus être protégées. On pourrait déplorer que l’armée ne figure pas expressément dans cette recommandation ou plutôt, exigence du FMI. Dans tous les cas l’indépendance d’un tel organe devrait faire l’objet d’une *profonde réforme constitutionnelle* car comme chacun le sait, dans la Constitution de novembre 2015 sous laquelle Sassou prétend régner, le Président ne peut être poursuivi pendant et après son mandat. Ce qui est contraire à toutes les règles de bonne gouvernance et même le plus ridicule cabinet d’audit le soulignera. Si cette disposition est maintenue, cela annulera d’office l’indépendance et le champ d’action de l’organe anti-corruption puisque tous les parents, amis et membres du parti de Sassou qui voudront se protéger, n’auront qu’à verser leurs avoirs dans les comptes de Sassou, mettre leurs biens en son nom, et du coup, plus personne ne répond de rien. Stupide n’est-ce pas !? Une nouvelle constitution s’impose donc, aux termes des attentes indiquées pour arriver à la transparence, la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption.

La mission s’est aussi *félicitée* (vous avez compris ce que ça signifie) que le gouvernement ait cédé sur l’idée « de rendre pleinement compte au Parlement et à la population sur la gestion des ressources naturelles et des grands travaux au cours des dernières années ». Ici il faut souligner *parlement* donc l’institution représentative, *population*, soit rendre compte au peuple et « au cours des dernières années » qui signifie un audit qui partira, logiquement, du dernier accord FMI-Congo (c’était le point d’achèvement PPTE, en 2010), jusqu’au prochain. C’est un audit sur les 8 dernières années au moins dans la vision du FMI qui est demandé, et qui doit être rendu au peuple et avec « une participation forte de la société civile ».

Pour ce qui est du parlement qui doit suivre, comme l’organe indépendant de lutte contre la corruption s’il est mis en place, annulera la constitution de laquelle ce parlement tient légitimité, ou s’il ne tombe avant, aura démontré que 80% si non plus des parlementaires ont été élus avec des fonds publics et qu’ils seront un à un arrêtés pour rendre des comptes, je doute que dans l’esprit de la mission du FMI quand il parle du parlement, qu’il entende la présente législature… Mais comme pour qu’il y ait organe anti-corruption « indépendant avec tous les pouvoirs d’investigation », il faut changer de constitution, donc repartir à des élections générales, la question tombe. Il faudra juste bien ajuster l’ordre d’arrivée de réformes.

Aussi, « la mission salue les efforts des autorités pour améliorer la transparence du secteur pétrolier » (grande insistance répétée 3 fois) « en vue d’accroître de manière significative part de l’Etat dans les ressources naturelles de la nation. » Un connaisseur disait récemment qu’il y’a des individus privés au Congo qui ont de puits de pétrole. Il faut que l’on sache ce qui revient à l’Etat et ce qui revient à qui d’autre et pourquoi. Qui l’attribue, par quel mécanisme les conseillers du président ou les anciens représentants du FMI prennent des parts dans la richesse nationale ? Qui, quand, comment de combien et dans quelles proportions l’Etat est lésé sur toute la chaine du circuit ? La mission indique même que « La première étape sera de développer la capacité de l’État à réconcilier systématiquement toutes ses transactions relatives aux ressources naturelles », c’est-à-dire à réunir les caisses, les comptes. Il parait qu’il y’en aurait en Chine, dans des comptes offshore, à des noms de particuliers qui font fructifier les revenus à leur bénéfice avant de reverser ce qu’ils veulent à l’Etat. Je parie d’ailleurs que le FMI a déjà 90% des réponses dans ses enquêtes, donc attend des autorités congolaises la simple vérité à son peuple et non qu’elles lui révèlent quoi que ce soit.

Et enfin, dit le communiqué, ce n’est que « Une fois établie le respect de toutes les politiques du FMI en la matière » (c’est-à-dire ce qui vient d’être énuméré), qu’un accord sera en juin. Autant dire, Sassou doit annoncer la fin de son régime et faire approuver les conditions d’installation du nouveau régime par le peuple.

Les grandes questions que l’on se pose, sont d’abord de se dire, si comme d’habitude le système Sassou accepte toutes les conditions pour faire bonne figure et se réunit en urgence pour trouver comment les contourner, quel est l’avenir de ces bonnes intentions ? 

 D’abord, on l’a bien vu d’entrée de propos, le FMI a tenu à souligner qu’il ne se laisse pas entuber par les gros slogans de ce régime et a souligné la mauvaise gouvernance et la corruption. Donc quoi qu’ils imaginent qui n’ira pas dans un sens universellement reconnu comme participant de la bonne gouvernance, ils auront une fin de non-recevoir. Comme faire voter rapidement une loi qui modifie la Commission actuelle de lutte contre la corruption et y nommer Oko Ngakala à sa tête. Exactement comme ils ont fait semblant de changer l’organigramme de la SNPC pour remplacer le député d’Oyo 1 par celui d’Oyo 2. Le fils par le neveu, dont la priorité est de faire la fête. C’est justement de ces manœuvres idiotes que le FMI ne veut plus. Le langage ici étant clair, je n’ose pas imaginer tout ce qui leur a été dit en face, et qui a poussé Denis Sassou Nguesso fâché, à refuser de rencontrer le ministre français des Finances à Brazzaville, alors que la France a un poids considérable au conseil d’administration du FMI. Denis Sassou Nguesso sait donc qu’il a déjà perdu.

Dans ce cas, peut-on imaginer que le gouvernement Sassou se passe du FMI ? Il faudrait un miracle, genre une pluie d’or sur le Congo. En réalité, Denis Sassou Nguesso et son gouvernement sont en position d’interdit bancaire mondial. Dans sa situation, avoir le soutien du FMI, c’est perdre toute forme de garanties dans ses transactions financières. Quiconque contracterait avec le Congo (pour un prêt, un paiement anticipé sur rente, ou une avance de trésorerie) le ferait à ses risques et périls. Même l’Arabie saoudite dont le prince s’achète un château à 300 millions d’euros en claquant des doigts, n’a pas osé s’engager dans un deal aussi foireux. La Chine a été obligée de se rapprocher des clubs de créanciers classiques (Londres, Paris), pour apprendre comment se faire rembourser Etats mal gérés. Sans cet accord, le chéquier du Congo ne vaut rien.

 Un dialogue national peut-il sauver Sassou ?

 Partiellement. Une loi d’amnistie pénale pourrait en découler, mais elle n’empêchera pas les sanctions administratives, financières et civiles qui frapperont les contrevenants détectés ni ne pourra empêcher les enquêtes de l’organe de lutte contre la corruption, si non qu’à annuler l’effet escompté. Si l’on reste sur le volet de la bonne gouvernance, de la transparence et de la lutte contre la corruption pour bénéficier d’une aide aussi cruciale pour le Congo que celle du FMI, et plus encore si un nouveau régime qui ne connait pas les tombes « joyeuses » d’Oyo arrivait au pouvoir. Un accord peut définir que personne ne va en prison, mais il ne sera pas possible de rendre les coupables admissibles à de nouvelles responsabilités ou qu’ils ne remboursent rien. A quoi aurait servi la déclaration de patrimoine et l’audit sur les années folles ? Juste pour savoir ? Cela n’a aucun sens.

Que va faire Sassou ? 

 Il a deux choix.

 – Soit il tentera de négocier avec les forces politiques en présence (au sein du PCT et à l’extérieur) pour savoir à qui il transmettra le pouvoir et qui pourra le protéger. S’il trouve annoncer toutes les réformes voulues mais en tentant à chaque fois de trainer le pas, à favoriser son poulain, à camoufler des choses, à jouer avec les termes (audit oui mais réalisé par un cabinet médiocre de son choix, commission indépendante oui mais c’est lui qui nomme le président etc…) afin qu’il garde le contrôle. Sassou est un homme qui adore la politique de façade, qui pense tromper tout le monde, qui pense d’abord à lui, et qui déteste les risques.

 – Ou alors, il va attendre au palais que le peuple affamé vienne le chercher en espérant un miracle entretemps. Et je pense sincèrement qu’il penchera pour ce second choix

Hervé Mahicka Enarque et ancien directeur de compagne du général Mokoko, auteur de « L’Afrique une promesse. Comment l’Afrique s’éveillera », paru aux éditions Michalon, en 2018″.

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