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Le hold-up du siècle

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Une cellule a préparé et programmé les actions politiques et sécuritaires de l'après-élection: coupure des télécommunications et l'accès au Net dès le jour du vote, arrêt du signal de RFI (abandonné après des injonctions "amicales"); assignation à résidence des leaders de opposition; couvre-feu avant la proclamation des résultats ; quadrillage militaire, mise en alerte des zones militaires de défense, instauration d'un état d'urgence en cas de contestations trop violentes.

Tribune libre

 

La Cour constitutionnelle a annoncé la victoire de Denis Sassou N'Guesso, dès le premier tour du scrutin présidentiel du 20 mars. Comment une défaite humiliante, constatée dans les urnes, s'est-elle transformée en triomphe? Retour sur les coulisses d'une consultation déterminante pour l'avenir du Congo. Un récit de Guillaume Obambi, envoyé spécial à Brazzaville.

 

L'histoire est un éternel recommencement. Denis Sassou N'Guesso, jamais élu loyalement, a perfectionné et amplifié le système lui ayant permis de remporter les scrutins de 2002 et 2009 : concentration extrême des pouvoirs et manne financière sans limite ; contrôle des opérations électorales; intimidation et répression. S'y ajoute la marginalisation accélérée du PCT.

 

Concentration des pouvoirs. Contre l'avis de quelques dignitaires ou les réticences de proches, y compris dans le cercle familial, Sassou Nguesso a choisi de confier la direction de campagne à ses enfants, leurs alliés et amis, et quelques supplétifs, ces derniers étant cantonnés dans les tâches moins valorisantes: mobilisation de l'électorat (Faustin Elenga, député), opérations électorales (Alain Akouala), relations avec les confessions religieuses (Mme Emeline Diagne Kolelas), associations (Paul Tchignoumba), etc...Dans cette équipe de 17 membres les véritables décideurs sont le fils, Denis Christel Sassou N'Guesso (matériels et supports électoraux), la fille, Claudia (directrice adjointe de la communication) et le neveu, Jean-Jacques Bouya (logistique et programmation). Ce trio est chargé d'alimenter, gérer et distribuer les fonds. Ils vont privilégier l'image et le clinquant.

 

Les partis ayant habitué la population à l'habiller et la nourrir pendant la période électorale, la campagne de Sassou N'Guesso doit écraser toutes les autres sur ce plan. Une tornade de produits de tous genres va s'abattre sur le Congo : pagnes, polos, chemises, tee-shirts, casquettes, parapluies, parasols (déjà en vente dans les marchés), boîtes d'allumettes, clés USB vantant les réalisations du candidat, montres -trois modèles-, slips enfants et adultes, etc... Ne manquent que les chaussures.

 

Cet étalage d'argent, indécent et révoltant, dans un pays où 70% de la population vit encore sous le seuil de pauvreté, a fait de cette campagne la plus chère du XXIème siècle. Des sources proches du dossier avancent une fourchette de 200 à 300 milliards de francs CFA. Une évaluation plausible, si on la compare au budget des 11èmes Jeux africains que Brazzaville la accueillis en septembre 2015. Parmi d'autres dépenses, 20 milliards avaient été alloués à la communication et 30 milliards à l'hébergement et la restauration. Sommes remises à deux filles du clan familial. Pour deux semaines de compétions, seulement à Brazzaville. Or la campagne a concerné tout le pays deux semaines durant.

 

Seuls les naïfs ou les personnes vivant sur la Lune ont pu être surpris par la démonstration de force financière du clan d’Oyo. La SARL Sassou et associés confond sans retenue caisses publiques et privées, comme le prouve l'affaire des biens mal acquis : en 2007 a recensé 18 propriétés et 112 comptes bancaires de la famille Sassou en France. En juin 2013 une autre synthèse a comptabilisé 60 millions d'euros (plus de 38 milliards de francs CFA) dépensés en montres, bijoux, boutons de manchettes, voitures de luxe...Sans aller si loin il suffit de recenser immeubles, villas, hôtels, véhicules de luxe que ces nouveaux riches accumulent dans tout le Congo.

 

Après le clinquant, les images. La tactique est simple, voire simpliste: occuper tous les écrans disponibles, réduire l'opposition à la portion congrue. Ainsi les Congolais ont été obligés de subir jusqu'à la nausée la propagande des zélateurs rémunérés sur Télé Congo, chaîne publique, et sur les chaînes privées DRTV (Norbert Dabira, général), MNTV (Maurice N'Guesso, le grand frère), TOPTV (Claudia), ESTV (Didier Elongo). On vit ainsi surgir du néant de pseudo-associations venir chanter les louanges du président-candidat. On vit surtout ce dernier en long, en large et en travers pendant sa tournée ou dans la moindre de ses activités. Mais il a manqué une chose: la complicité. Aucun contact, même improvisé, entre le peuple et le candidat retranché derrière une muraille d'agents de sécurité. La vision de ce candidat au sourire mécanique a produit une impression de malaise. Ces images d'un monarque républicain étaient surtout destinées à l'opinion internationale qui a douté de la volonté populaire de reconduire Sassou à la magistrature suprême.

 

Tout entier obnubilé par son désir de bien faire, le clan a commis deux énormes erreurs : personne ne s'est avisé, ou n'a voulu s'aviser que les dates de début et de fin de campagne coïncidaient avec l'anniversaire de deux évènements gravés dans la mémoire collective du pays: le 4 mars, explosions de Mpila, près de 400 morts en 2012; le 18 mars, assassinat de Marien NGouabi en 1977. Résultats : pas d'hommage officiel dans les deux cas. Sassou débute sa campagne à Pointe-Noire le plus tranquillement du monde, avant d'être contraint d'écourter le meeting devant les jets de pierres. L'opposition réunie honore les victimes lors d'un Te Deum à Moungali. Le 18 mars seule l'opposition rend hommage au Président assassiné lors des derniers meetings, en rappelant notamment qu'il a vécu modestement et ne s'est pas enrichi contrairement aux nouveaux venus en politique.

 

L'amateurisme de l'équipe de campagne a provoqué moquerie et colère chez les hauts dignitaires proches de la présidence. Mais Sassou savait ce qu'il faisait. Pendant que les jeunes gèrent l'image et le clinquant, une poignée de fidèles irréductibles réfléchit sur les moyens d'organiser et surtout d'imposer la victoire du candidat, un "triomphe" dès le premier tour claironné sur tous les tons, dans tous les médias, matin, midi et soir. Cette "cellule stratégique" de neuf membres se réunit à Mpila sous la direction de Aimé Emmanuel Yoka, ministre de la justice. On y trouve: Pierre Oba, ministre des mines et de la géologie, ancien ministre de la sécurité, chargé des questions stratégiques ; Raymond Zéphyrin Mboulou, actuel ministre de l'intérieur; François Ibovi, ministre de la santé (!), ancien ministre de l'Intérieur; Auguste Iloki, président de la Cour constitutionnelle; Henri  Bouka, président de la CENI; Antoine Evoundou, directeur général des affaires électorales; Michel Ngakala, secrétaire permanent du PCT; Serge Michel Odzoki, porte-parole du PCT, ancien conseiller culturel à l'ambassade du Congo en France.

 La cellule prépare et programme les actions politiques et sécuritaires de l'après-élection: coupure des télécommunications et l'accès au Net dès le jour du vote, arrêt du signal de RFI (abandonné après des injonctions "amicales"); assignation à résidence des leaders de opposition; couvre-feu avant la proclamation des résultats ; quadrillage militaire, mise en alerte des zones militaires de défense, instauration d'un état d'urgence en cas de contestations trop violentes.

Ce programme a connu un début d'exécution. La coupure des télécommunications était effective dès sept heures du matin le dimanche 20 mars. Mais devant l'ampleur des récriminations de la population et la réprobation unanime de l'opinion internationale cette mesure criminelle est retirée, après l'annonce nocturne des résultats provisoires du scrutin. Étrange ! Une "victoire" proclamée dans la nuit, comme si on redoutait la lumière du soleil.

 

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Témoignage des compatriotes membres de la Cour Constitutionnelle, ce matin 04/04/2016 au Palais de Sassou. Les armes sur la tempe, ils ont exécuté ! Résultats nuls et de nul effet

« C'est le plus mauvais jour de notre vie. Nous sortons de l'enfer, figurez-vous qu'on a été pratiquement séquestrés. Beaucoup de membres n'étaient pas au courant de l'ordre du jour puisque qu'on s’était séparés vendredi 01/04/2016, la préparation des dossiers était au niveau technique.

On prévoyait les premières réunions le plus tôt, jeudi 7 avril 2016, et donc les premières audiences, d’abord relatives aux contestations des élections pour le vendredi et la proclamation pour le samedi 9 avril 2016.

Ce matin (lundi 04 avril 2016) à 10h, nous pensions que c’était pour une communication, à notre stupéfaction, dès que nous rentrions dans la salle, ce sont des chars et des véhicules militaires qui sont arrivés avec des consignes de proclamer les résultats aujourd’hui même.

Aucun membre de la cour constitutionnelle n’a même pas eu le temps d’examiner ne fut-ce que le moindre procès-verbal ou la feuille de pointage. On ne pouvait pas sortir, ils nous ont apporté des croissants et des rafraîchissants. Malgré nos explications sur le fait que séance tenante qu’on ne pouvait rien faire. On nous a répondu qu’on pouvait faire du copier-coller de la décision de l’élection présidentielle de 2009. Pour la suite, déclarer la requête de Kolelas irrecevable, sans le moindre état d’âme. On s’est exécuté.

Il n’y a pas eu débat, nous étions traumatisés et en état de choc. Tout cela se passe pendant que les Ninja étaient à 200 mètres de la cour. On les a suppliés de nous laisser partir à 17 heures pour revenir le lendemain. Ils ont refusé.

Voilà comment on était obligé de faire comme ils avaient demandé et de proclamer à 18h45, sans avoir examiné à fond les résultats. On a juste avalisé les résultats de la Commission Nationale Électorale Indépendante. Nous sommes dégoûtés.»

Témoignage recueilli sous anonymat. 

Comité de Veille et de Soutien J3M Pour l’Alternance

Fait à Paris, le 05 avril 2016