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Maurice Massengo-Tiassé: des «prisonniers politiques» au Congo-Brazzaville

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Y a-t-il des prisonniers politiques au Congo-Brazzaville ? Oui, affirment plusieurs organisations de la société civile et partis politiques congolais, qui ont déposé un rapport très documenté auprès du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, à Genève, le 11 août 2016. Ce rapport a été supervisé par Maurice Massengo-Tiassé, qui est le deuxième vice-président de la Commission nationale des droits de l'homme du Congo-Brazzaville. Ce mardi 13 septembre, Me Massengo-Tiassé doit assister à l'ouverture de la 33e session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Lu sur RFI

RFI : Dans votre rapport envoyé au Conseil des droits de l’homme à Genève, vous citez les noms de quelque 80 prisonniers politiques au Congo-Brazzaville. Le pouvoir affirme qu’il s’agit de personnes qui ont enfreint la loi et porté atteinte à l’ordre public. Qu’est-ce qui vous permet de dire que ce sont des prisonniers politiques ?

Me Massengo-Tiassé : Ce sont bien des prisonniers politiques dans la mesure où ce sont des responsables des partis politiques. On était en période de précampagne. D’abord, le peuple a protesté contre une décision, celle de changer la Constitution.

C’était en octobre 2015.

Oui, c’est ça justement, mais les arrestations ont commencé même en amont, donc bien avant. Les premières arrestations, c’était les hommes de Modeste Boukadia [président du Cercle des démocrates et républicains du Congo (CDRC)] qui avaient fait une réunion pour dire tout simplement, on ne peut pas modifier la Constitution. Ensuite, il y a eu les personnalités qui ont été arrêtées chez le président Clément Miérassa [de la plateforme Frocad]. Et après les différents meetings, on a procédé aux rafles dans les quartiers. Et ceux-là, les gens qu’on a pris, c’étaient des militants reconnus de certains partis politiques ou de la société civile. Donc ce sont des prisonniers politiques.

L’un des plus anciens prisonniers que vous citez dans ce rapport, c’est Paulin Makaya, le président du parti Uni pour le Congo (UPC), qui a été arrêté dès le 23 novembre 2015. Il a été condamné le 25 juillet 2016 à deux ans de prison ferme pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ». Pourquoi dénoncez-vous cette condamnation ?

On la dénonce justement parce que c’est quelque chose qui a été fabriqué. Paulin Makaya mobilisait pas mal de monde, ils disaient non au changement de la Constitution.

Il était dans le collimateur du pouvoir ?

Oui, il était dans le collimateur comme tout le monde.

Et pourquoi lui, plus qu’un autre, puisqu’il n’a pas été le seul homme politique à protester contre la réforme constitutionnelle ?

Non, mais parce que lui, il était très en vue. Il venait de l’Europe, de Londres et par rapport aux partis traditionnels qui étaient sur place, qui sont souvent mis en cause par les militants parce qu’ils sont inféodés un peu au pouvoir, ils sont plus ou moins corrompus. Lui est arrivé, comme on dit, avec des mains propres. Donc il a été beaucoup suivi par la jeunesse.

Donc il pouvait faire peur au régime ?

Oui, il faisait peur au régime, comme par la suite le général Mokoko lorsqu’il est rentré en février. On sait très bien que ceux qui viennent de l’extérieur, ils apportent beaucoup plus d’espoir aux Congolais qui sont sur place.

Autre prisonnier politique dans votre rapport, Jacques Banangandzala. Il était conseiller du candidat André Okombi Salissa. Il a été arrêté le 28 mars 2016. Et vous êtes très inquiet à son sujet ?

Oui, je suis très inquiet parce que d’abord, d’un il est très malade. C’est quelqu’un qui a contribué justement à une très bonne loi sur la presse au moment où il a occupé les fonctions de président du Conseil supérieur de la liberté de communication. Sa vie est en danger. C’est quelqu’un qui souffre. Il faudrait qu’il sorte de la prison. Ça ne sert pas de garder un homme comme ça, tout juste pour le prendre en otage ou parce qu’il est sorti du Parti congolais du travail. C’est des gens courageux.

Alors évidemment parmi ces prisonniers, le plus connu est le général Mokoko lui-même qui s’est présenté contre Denis Sassou-Nguesso le 20 mars 2016 et qui a été arrêté le 14 juin. Vous dites que c’est un prisonnier politique, mais les autorités semblent l’accuser d’avoir voulu faire un putsch puisqu’il est inculpé d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat » ?

Est-ce que, eux peuvent le démontrer ? On voulait tout juste faire taire Mokoko parce que s’il avait accepté la victoire du président Sassou, il n’allait pas avoir ces ennuis. On l’a arrêté pour faire peur aux gens. Lorsqu’on veut mettre en difficulté un adversaire, on le traite de fomenter un coup d’Etat.

Dans le camp du général Mokoko, votre rapport met aussi en exergue deux de ces collaborateurs les plus proches, qui sont actuellement en prison : le coordonnateur de campagne Anatole Limbongo-Ngoka et un autre de ses adjoints, Jean Ngouabi Akondzo pour lequel vous avez des nouvelles alarmantes ?

Oui, bien sûr. Nous avons des nouvelles alarmantes sur la santé de Jean Ngouabi. Il a perdu la vue.

Pendant sa détention ?

Pendant sa détention. Justement, c’était quelqu’un qui était bien portant et qui faisait partie de l’équipe de campagne plus générale de Jean-Marie Mokoko. Et c’est lui qui a été le premier arrêté au moment où il voulait ramener les procès-verbaux du candidat Mokoko.

Il a été arrêté le 25 mars ?

Oui, il a été arrêté le 25 mars parce qu’il était dans la partie nord du Congo. Et lorsqu’il a été arrêté, on lui a confisqué tous les résultats qu’il avait parce que les résultats en sa possession démontraient bien que même dans la partie Nord, le président Sassou n’avait même pas eu ne fut-ce que 10%

Autre opposant qui risque gros, le pasteur Ntumi, l’homme le plus influent du Pool, au sud de Brazzaville. Lui n’a pas été arrêté, il est pourchassé. Mais est-ce que plusieurs de ses partisans sont prisonniers aujourd’hui ?

Oui, lorsqu’il y a eu les premiers bombardements dans le Pool, on a arrêté beaucoup de jeunes qui ne sont même pas des partisans du pasteur Ntumi, qui sont uniquement les jeunes en âge peut-être de tenir des armes, qu’on a arrêtés massivement. Et d’autres sont portés disparus. C’est pour ça que nous, nous qui avons déjà certains éléments, nous nous apprêtons à les déposer aux instances internationales, le Conseil des droits de l’homme et également à la Cour pénale internationale qui doit ouvrir une procédure parce qu’aujourd’hui, la Cour pénale internationale ne dépend pas forcément dans les procédures des Nations unies. C’est qu’une organisation indépendante qui peut se saisir et également ouvrir une information judiciaire.

Pour l’instant, c’est devant le Conseil des droits de l’homme que vous allez. Voilà déjà un mois que votre rapport a été déposé. Mais il ne sera pas examiné avant au plus tôt le mois de mars 2017. Est-ce que tout ça ne prend pas trop de temps ?

Il y a une instruction. Il faut que le pouvoir aussi s’exprime, se justifie. Donc c’est tout à fait normal que ça prenne du temps. Mais entretemps, la communauté internationale est au courant des faits graves, des violations des droits de l’homme, des abus qui se sont déroulés au Congo.

© RFI.

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