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Le pouvoir est pris comme un animal dans le filet, avait dit Sassou

politique
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" Le pouvoir est pris tel un animal dans le filet. A Nguélé (Brazzaville) personne n'est de taille à me le contester. Quand je serai fatigué, ce qui n'est pas encore le cas, je viendrai vous le dire ", avait déclaré Sassou en langue mbochi à ses parents réunis à Oyou, dans son village au nord du pays.

 

Une façon de dire que c'est pure chimère pour les Congolais d'envisager des scénarios d'alternance au pouvoir, car si alternance il devait y avoir un jour au Congo, Sassou ne le concevrait que dans sa famille ou dans son clan. Quand il sera fatigué, il cédera la place à un membre de son clan mbochi seul capable selon lui, de gouverner le pays le plus longtemps possible. Sur la liste de départ : Okemba, Christel Nguesso, Ebata, Bouya... Les autres Congolais seraient réduits, comme aujourd'hui, au rôle de " boys " ou de porteurs d'eau ou, mieux, de griots, à l'image de Pierre Mabiala, Moungalla, Justin Koumba, Pierre Ngolo... la liste est longue.

 

Portrait des prétendus successeurs dressé par le journal " Le Monde ", des hommes susceptibles de se faire " élire " par les Congolais.

 

L’après-Sassou au Congo (2/4) : JDO, l’homme de l’ombre

Avec ses épaules tombantes, sa diction hasardeuse et ses lunettes proéminentes, Jean-Dominique Okemba (JDO) est depuis 15 ans l’ombre du président Denis Sassou Nguesso. « Il est rare qu’il se déplace sans lui », note une source à l’Elysée. Décoré de la légion d’honneur, en 2011, sur demande Nicolas Sarkozy, le contre-amiral est un habitué du palais présidentiel français. Surtout du bureau du secrétaire général.

 

De Dominique de Villepin à Claude Guéant, ils ont été quelques-uns à fréquenter cet homme à la grande silhouette d’ascète. Chef des services de renseignements, Jean-Dominique Okemba était chargé des remises d’espèces au clan Chirac, selon le témoignage du 4 octobre 2011 de l’avocat Robert Bourgi dans le dossier des biens mal acquis.

Une mission de grande confiance qui a valu à JDO d’être considéré comme le vrai n° 2 du régime. Et l’arrivée au pouvoir des socialistes en France n’a pas mis fin à ses visites. En février 2015, à l’occasion du sommet Afrique France sur la croissance, c’est lui qui représentait à Paris la République du Congo.

« Il s’est fait dans le sillage du président, souffle un ancien haut cadre du renseignement français où il est particulièrement apprécié. Ses rivaux ont peu à peu été mis sur la touche quand lui a patiemment tissé sa toile. » Et cela en nommant proches et parents aux postes clés des organes de renseignement du pays. La sécurité du président elle-même et l’état-major de l’armée lui rendent des comptes. Une position privilégiée « d’interface entre le président et le gouvernement », selon une note de la DGSE (les services français), encline à le considérer comme « le numéro 2 du régime et un successeur potentiel ».

Même l’explosion de Mpila ne l’a pas fait tomber. Le 4 mars 2012, cinq violentes explosions retentissent dans Brazzaville. Les vitres tremblent jusqu’à Kinshasa, de l’autre côté du fleuve. 282 morts, des milliers de blessés : le dépôt d’armes de la caserne militaire, situé dans un quartier populaire, a explosé. Les bruits d’une tentative de coup d’Etat se répandent comme une traînée de poudre et Jean-Dominique Okemba vacille à la tête du Conseil national de sécurité. Le président l’écarte de l’enquête. Pendant toute une matinée, il sera même interrogé sur sa possible implication par Pierre Oba, l’ancien ministre de la sécurité qu’il avait pourtant réussi à marginaliser. Une petite humiliation sans conséquence : ce sera son adjoint, Marcel Ntsourou, qui sera condamné en 2013 à cinq ans de travaux forcés pour détention illégale d’armes avant d’être envoyé l’année suivant aux travaux forcés à perpétuité.

Si Jean-Dominique Okemba n’est pas inquiété, c’est sans doute que son influence s’étend au-delà des services de sécurité. Car le « trésorier », un autre de ses surnoms, préside également le conseil d’administration de la filiale congolaise de la BGFI, la plus grande banque d’Afrique centrale, héritière de la FIBA, l’établissement créé par Elf et dissout en 2000, lorsque le procès Elf a permis d’établir que la FIBA accueillait les commissions destinées aux présidents de l’Afrique pétrolière.

« Quel pétrolier intelligent n’a pas de compte à la BGFI ? », sourit Antoine Glaser, l’ancien patron de la Lettre du continent. « Dans ses mains, JDO a l’information et l’argent, siffle un collègue des services occidentaux, c’est le rêve de tout patron d’agence de renseignement. »

Ce n’est pourtant pas l’épreuve du feu qui a forgé son emprise sur le président : Jean-Dominique Okemba n’était que deuxième attaché à l’ambassade de Kinshasa pendant la guerre civile (1997-1999). Ce n’est pas non plus sa science des arts militaires ni une quelconque vision économique ou politique qui ont permis son ascension. C’est tout simplement une histoire de famille dans le nord du pays, au sein du clan Mbochi.

Né en 1955 dans la province des Plateaux, Jean-Dominique Okemba voit son destin basculer quand meurt prématurément son père, gardien des fétiches du clan. Le père de Denis Sassou Nguesso se voit confier ces reliques sacrées, à une condition : Jean-Dominique sera élevé avec le futur chef de l’Etat. Pour le grand public, l’orphelin est le neveu de Denis. Pour les intimes, c’est bien un frère de lait, jusque dans les loges maçonniques. Jean-Dominique récupérera d’ailleurs les précieux fétiches en 2004.

« Lors des cérémonies traditionnelles, c’est lui qui tient le bâton sacré », dit un participant. Rien de folklorique là-dedans : l’univers mystique congolais est bien l’une des clés pour comprendre le pouvoir de Jean-Dominique Okemba. « C’est un sphinx, qui parle peu et écoute. En tête-à-tête, il peut rester longtemps sans dire un mot. Mais quand il s’énerve… C’est le plus africain du premier cercle, résume à Paris un de ses collaborateurs. Lorsque Sassou passera la main, Jean-Dominique se considérera comme son héritier. »

De Denis-Christel ou Edgar, les deux enfants du président les plus avides de pouvoir, JDO dit ne rien craindre. « Ce ne sont que des enfants », aurait-il confié à ses proches. Pourtant, ses rapports avec la famille sont passés de froids à exécrables. Le 31 mars 2014, en marge d’un sommet UE Afrique à Bruxelles, JD Okemba a été violemment pris à partie par Claudia Sassou Nguesso, dont on dit qu’elle l’aurait giflé.

L’algarade, à défaut d’être vérifiable, illustre la tension qui s’est installée entre les héritiers de sang et « l’ombre » de Sassou. « Il bloque beaucoup de dossiers que nous voulons faire avancer avec les filles du président, s’agace un homme d’affaires israélien. Et personne ne comprend pourquoi il a une telle influence. »

Un entrepreneur français habitué du palais présidentiel s’étonne toutefois qu’Okemba passe une tête soucieuse à chacune de ses audiences. Comme inquiet des rendez-vous que le chef de l’Etat prend sans le consulter. Là réside sans doute la principale faiblesse de JDO : Sassou Nguesso lui-même, dont il craint avant tout de perdre l’oreille.

Jusqu’alors la fidélité du président à son égard n’a jamais été démentie. Mais le président congolais n’a jamais eu à trancher entre les ambitions de son frère de lait et les désirs de son fils, allié à un nouvel ambitieux, Lucien Ebata. Et l’heure du choix approche.

 

Denis Christel, le fils prodigue

 

Denis Sassou Nguesso « a toujours préféré ses filles », avoue un de ses vieux compagnons de route. Au point de se brouiller un temps avec son plus célèbre gendre, Omar Bongo, ancien président du Gabon, coupable à ses yeux de n’avoir pu faire soigner sa préférée, Edith, emportée, en 2009, par une longue maladie. Depuis il choie la discrète Juliette – alias Joujou – épouse Johnson, prête une oreille de plus en plus attentive à la députée Claudia, dite « Coco », conseillère en communication de la présidence, habituée à rabrouer ministres ou fonctionnaires.

Cette inclinaison paternelle ne l’a pas empêché de veiller au bon parcours de son fils, Denis-Christel. Après une formation à l’école militaire préparatoire de Brazzaville, « Kiki » décroche en France un diplôme de clerc de notaire et une maîtrise de droit privé à la fin des années 1990. Bénéficiant sans doute de relais puissants, il se retrouve aussitôt propulsé dans le milieu pétrolier congolais. Qu’il ne quittera plus.

 

« Pétrolier » et « sapeur »

Naviguant de poste en poste dans les plus grandes sociétés nationales, Denis-Christel empile, à tout juste 40 ans, les titres de directeur général adjoint de la Société nationale du pétrole congolais (SNPC) et d’administrateur général de la Coraf (Congolaise de raffinage). Mais ce n’est pas à sa science des matières premières que le jeune quadra doit sa renommée. C’est à la SAPE. Ce goût pour les vêtements, devenu art de vivre, dont les habitants des deux rives du Congo revendiquent la paternité. Le fils Sassou comme son père la cultivent.

Entre 2005 et 2011, le « pétrolier » a dépensé 473 796 euros chez Pape. Ce couturier sénégalais, installé à Paris, est l’homme qui habille les présidents africains et leurs familles. Les factures de ce dernier, épluchées par l’office central de répression de la grande délinquance financières, occupent des dizaines de pages de l’enquête sur les biens mal acquis. Et le nom de Denis-Christel parsème le dossier.

Outre les chemises griffées, les enquêteurs ont relevé son goût pour les voitures de luxe (Bentley, Maserati, Chrysler, Porsche et Mercedes) et pour les montres de luxe, dont une Rolex Rose et Noir de 22 160 euros réglés en espèces. Une passion qui n’est pas neuve.

En 2007 déjà, l’ONG Global Witness détaillait les belles dépenses de Denis-Christel à Paris. En février 2014, l’association suisse la Déclaration de Berne a dévoilé, elle, le système grâce auquel Kiki est soupçonné de détourner les recettes pétrolières du pays pour financer ses frasques. Voire préparer l’avenir.

 

Allégeance et prudence

Signe de la confiance que lui accorde son père, Denis-Christel, simple militant du Parti congolais du travail (PCT créé par son père du temps de la guerre froide), est devenu député d’Oyo, le berceau du clan familial, en 2012. Une première étape dans son ascension vers le pouvoir qu’il ne craint d’évoquer. « A ce jour, cette assertion est inexacte », a-t-il répondu à Jeune Afrique qu’il l’interrogeait sur sa possible candidature à l’élection présidentielle de 2016.

Le 27 avril 2014, le député Sassou s’est même déclaré favorable à un changement de Constitution, préalable nécessaire à une nouvelle candidature du chef de l’Etat. Un message en forme d’allégeance. Une démonstration de prudence également. Avant de se lancer, l’héritier des Sassou compte ses troupes, et son argent.

Il sait que la lutte sera féroce une fois la succession ouverte, notamment avec Jean-Dominique Okemba qu’il soupçonne de souffler sur les braises du scandale des Biens mal acquis. « Sassou s’amuse à voir les prétendants se positionner, témoigne un conseiller du président. En dernier lieu, c’est lui qui tranchera sa succession. »

© Le Monde

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