Tribune libre
Comment un régime aussi rétrograde et criminel, pris, à maintes reprises, le doigt dans le pot de confiture au travers de graves accusations de corruption, des biens mal acquis, de forfaiture, de crimes de sang, un régime étranglé par les conséquences de sa propre gestion moyenâgeuse et sa tyrannie ayant entrainé l’effondrement des structures étatiques du pays peut-il survivre jusqu’à ce jour ?
Les éléments de réponse sont à rechercher, non seulement dans la corruption érigée en mode de gestion, mais également dans le fossé qui sépare les néo devanciers de la lutte contre la dictature, transfuges du régime passablement inspirés, à l’apathie des populations quasi résignées et traumatisées par des guerres à répétion aux motifs grotesques.
A bout de souffle, les populations du Pool n’en peuvent plus. Des bombardements et destructions systématiques des villages par ceux qui ont pour mission d’assurer leur protection. Un comble. Du silence de Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie, Ouesso, Impfondo, Owando, Gamboma, Makoua …
Une frange urbaine de la population, fataliste, tourne en rond et s’enivre des bonnes paroles des églises de réveil. La fébrilité du pouvoir de Brazzaville trahit en même temps ses inquiétudes et, partant, sa faiblesse. Le contexte congolais est tel que même une insurrection rustique pourrait ouvrir la voie du salut. Sassou le sait.
Sur le papier, rares sont les régimes qui pourraient tenir le temps d’une saison avec autant de crimes, autant des salaires impayés, autant de scandales financiers dont se délecte la presse internationale …
Le robinet d’eau est toujours sec. L’université a fermé ses portes. L’insalubrité est partout. L’électricité toujours rare est soumise aux fâcheux délestages. Des entreprises ferment en cascades, les unes après les autres, notamment à Pointe-Noire, ville économique.
La santé pour tous ne sera pas pour le Congo-Brazzaville. Ce pays qui héberge le siège de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en Afrique a décidé la fermeture de son unique Hôpital Général, sans un dispositif de prise en charge des patients. L’une des conséquences directes et triviales qui en découle est la surmortalité dans la capitale congolaise, que les autorités tardent à évaluer. La fermeture de cet hôpital disqualifie toutes les autorités du pays, incapables de respecter leurs engagements.
Partout dans le monde, les autorités tant gouvernementales que sanitaires mènent ensemble un combat âpre pour ouvrir des hôpitaux de qualité pour le bien-être de leurs populations. Etrange décision qui montre l’état de déliquescence du pays.
Aux alentours des morgues, l’air est par moments irrespirable. Si on y ajoute l’idée de la fermeture du cimetière de Moukoundzi-Ngouaka qui circule chez ceux-là même qui avaient exproprié les habitants de Kintélé pour y construire le stade maudit, il faut s’attendre à d’autres cérémonies d’exorcisme, à l’instar de celle réalisée récemment par le ministre des Sports.
Le bilan du règne de Sassou sera incontestablement associé à la mort que lui-même renvoie avec délectation au « goût du sang ». Des morts, il y en aura eu : deux anciens présidents, un Cardinal, les « disparus du Beach », le génocide dans le Pool, des graves manquements dans les hôpitaux, la fermeture du CHU…
L’air est pesant à Brazzaville où tout sonne faux. Aucune perspective en vue dans l’immédiat, ni à moyen terme. Aucun chiffre officiel n’est disponible dans tous les domaines. Il est vrai que dans ce petit pays pétrolier d’Afrique, les chiffres officiels sont rares, souvent imprécis, voire erronés et donc peu crédibles.
Ailleurs, il y a longtemps, très longtemps qu’un tel pouvoir aurait été déposé. Il est étonnant de constater qu’ici, ce régime tient encore debout malgré toutes ses casseroles et tous ses crimes. Mais pour combien de temps encore ?
Ce vaillant peuple congolais, a-t-il seulement identifié ses bourreaux ? Tout ce temps qui passe sans que le peuple ne les brave, joue en faveur du pouvoir de Brazzaville. Au-delà de ses tractations avec le FMI pour une éventuel ballon d’oxygène, le clan au pouvoir, lequel espère et mise surtout sur la remontée du cours du baril de pétrole, pourrait nous faire, d’ici là un pied de nez et continuer à jouer le rentier pilleur de son Etat. Même au FMI, qui s’est mis à le languir.
Car, petit à petit, le cours du baril de pétrole remonte. Il vient d’atteindre son niveau d’il y a deux ans lorsque Sassou se pavanait encore et jonglait en catimini entre le surendettement et les déficits chroniques. En dépassant actuellement les 60 dollars, il vient de gagner le tiers de son prix le plus bas enregistré en début d’été.
Cette tendance à la hausse pourrait se poursuivre, même si les risques de perturbation existent du côté du Venezuela, dont l’économie, à l’instar de celle du Congo frôle la faillite. Mais à court terme, les risques géopolitiques mondiaux majeurs sont faibles. « Ni l’Irak, ni les Kurdes n’ont intérêt à perturber la production d’or noir à moyen terme », précise Benjamin Louvet, gérant matières premières chez OFI AM. Cette perspective économique favorable pourrait offrir à Sassou un contexte moins tendu.
Habitué à user du mensonge en plein jour, opportunément démasqué par le FMI où il est allé crier famine, Sassou avoue sa dette évaluée aujourd’hui aux alentours de 120 % du PIB, au lieu des 77 % initialement annoncés. C’est sans doute la fourchette basse. Cependant, la nature et les pratiques rapaces et boulimiques du clan Sassou permettent d’émettre l’hypothèse d’une dette pharaonique dépassant les 300 %, si l’on intègre toutes les chinoiseries entre Pékin et Brazzaville.
Politiquement, Sassou apparait comme un éternel usurpateur qui court en vain derrière une reconnaissance d’emblée introuvable. Socialement, il a désarticulé la société congolaise en faisant des antivaleurs un facteur de réussite, la médiocrité prenant le pas sur l’excellence. Si chez nous, la mort côtoie et prolonge la vie, la primauté de cette dernière est absolue car les morts ne sont jamais partis et toutes les morts n’ont pas la même signification.
Sassou aura transgressé la plupart des codes de régulation de notre société dont ceux de la cellule de base : la famille. De même, il est difficile, aujourd’hui, de donner de la densité à la notion purement propagandiste de « père de la nation ». Il aura dévoyé les notions du dialogue et de sagesse chères à notre culture bantoue. Ne pas respecter « sa propre Constitution », désaccorder l’action à la parole a réduit considérablement la place de celle-ci dans la confiance mutuelle. En a-t-il encore une lui-même ? Contraindre ne saurait se substituer à convaincre. Et la persuasion présuppose parole édifiante et une écoute exercée. Mais quel est l’état de l’Ecole du Congo ?
Economiquement, il a conduit le pays la banqueroute malgré l’immensité des richesses que l’on a préféré dilapider. Selon nos ancêtres, si l’on repasse devant un même arbre, en errant dans une forêt, c’est que l’on est perdu. Le FMI n’est pas un étranger pour Brazzaville. En la sollicitant de nouveau, les autorités congolaises avouent leurs errements et partant leur cuisant échec.
Militairement, Sassou a transformé les forces armées congolaises en une milice quasi ethnique progouvernementale où les consignes sont données en patois mbochi. Cependant, il tient à bonne distance cette armée par peur d’une rébellion dans ses rangs. Son déploiement dans le Pool réduit d’autant ses effectifs dans la capitale. D’où les intimidations répétées afin de masquer cette fragilité. La nécessaire reconversion de ces troupes en une future armée républicaine est une bombe à retardement qu’il lèguera au pays.
Humainement, l’homme apparait maculé de sang des victimes de sa politique. Il n’a pas su adopter la bonne attitude susceptible de redorer son image afin de terminer sans tumultes. Il pourrait en sortir par un coup de pied, tant le pays suffoque. Malgré la remontée du prix du baril de pétrole.
Abraham Avellan WASSIAMA
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