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Tribune libre

Jean Marie Mokoko ne s’y est pas trompé. Que valent réellement les militaires de Sassou ? Rien. En tout cas, c’est comme ça qu’ils sont perçus par les Congolais. Des hommes sans foi, ni loi, pour la plupart au niveau d’instruction laissant à désirer, comme leur chef, nommés complaisamment officiers, officiers supérieurs ou généraux par Sassou, lui vouant un culte inouï. On connaît le dicton du chien et de son maître…

           Rituel "Ansimba" pour introniser les officiers de la milice de Sassou

Nous sommes ici dans une dictature militaire, l’une des plus sauvages, et où les hommes en treillis, triés sur le volet tribal, constituent la première muraille de l’autocrate congolais  pour la conservation du pouvoir. Des hommes avec des tares, et les exemples ne manquent pas. Tenez ! Il y a 2 ans, deux étoilés de Sassou, deux ex-barons du régime, Nianga Mbouala et Norbert Dabira pour ne pas les citer, livraient au monde entier lors du ‘’procès’’ Dabira, toute l’étendue du parfait arriviste. Un procès resté dans les annales du comique et au cours duquel les Congolais ont pu se forger et conforter ce qu’ils savaient déjà sur ces hommes en uniforme au pays de Sassou.

Des minables. J'ai encore en mémoire ce souvenir traumatisant, un souvenir indélébile, lorsque, voulant obtenir une carte d'identité nationale, je me rendis avec tous les papiers nécessaires au commissariat central, un matin de Janvier 2017, à 9 heures.

Dans ce pays où les hommes en treillis ont depuis longtemps déserté les casernes, quand ils ne sont pas en civil pour fliquer les citoyens, ils trainent chez leur premier, deuxième ou troisième « bureau ». C’est le jargon local pour désigner les innombrables maitresses.

                                                                     L'armée mbochi

J'attendis l’homme des lieux, un certain "colonel", qui devait signer le dossier. Que l’attente fut longue ! Jusqu'à 14 heures, toujours personne pointant à l'horizon. Il parait que dans toutes les administrations, c’est comme ça. Pour faire passer le temps,  je fis  quelques pas pour aller découvrir les bonnes âmes qui s’abritaient sous  un hangar de fortune servant de salle d’attente. Et là, que vis-je ? Des hommes et des femmes d’un certain âge, venus pour se faire établir une pièce d'identité, attendant leur tour, sous 40 degrés.

Cinq minutes après, alors que j’avais à peine le dos tourné, des mamans se faisaient copieusement bastonner. Scène insoutenable qui me fit bondir de là où j'étais aux côtés de mon accompagnateur du jour. Je pris mon courage à deux mains pour essayer de raisonner le soudard, un lieutenant, qui s'adonnait à ce terrible supplice infligé aux mamans, non sans plaisir. La discussion tourna court. Menaces, intimidations, insultes à mon endroit, parce que je me mêlais de ce qui ne me regardais pas. L’homme était furieux. Il me rappela qu’il était un ancien cobra qui a fait la guerre en 1997 pour déloger Lissouba. Le pouvoir est à nous, criait-il. Un fou, Il  sortit son arme, prêt à dégainer son pistolet contre moi. Je ne dois la vie sauve qu'à l'intervention de son collègue.

De fil en aiguille, j’appris que ce qui mit ce soudard de Sassou en colère, c’est le fait qu’une maman, lassée d’attendre, lui demanda quand allait-on enfin s’occuper d’eux ? Voyez-vous, des broutilles !

Les esprits se calmèrent. Finalement, à 15 heures, on vit arriver ce fameux colonel que tout le monde attendait depuis le matin. Mon sang ne fit qu'un tour. Ça bouillonnait en moi et je me dis oh mon dieu ! Pas lui, non pas lui ! L'évidence était pourtant bien là, même si je refusais de voir la réalité en face.

C'était une vieille connaissance, ce "colonel", avec qui nous étions sur les bancs de l'école, en Europe. Un vrai cancre devenu "colonel" au pays de Sassou. Puis arriva mon tour dans le bureau de ce colonel de Sassou. Mon accompagnateur, un ami commun, me présenta et lui rappela qui j'étais. Pris de gêne, notre "colonel "baissa ses yeux et me fit attendre. Il faisait des chichis. Pourquoi ? Seul lui avait la réponse.

Heureusement pour moi, dans le même bureau, se trouvait un autre gars, très humble et très avenant. Un autre pote d'école en Europe, surpris de me voir dans son bureau. Un pote qui était plutôt très brillant comme étudiant. Content de me revoir. Il signa mon dossier et me raccompagna à la sortie. Curieusement, il n'était que lieutenant.

Je le pris par la main, à l’abri des regards, et lui demanda, comment se fait-il que toi, tu n'es pas colonel, comme notre cancre. Il me répondit avec un air narquois : « laisse mon cher ami, ce pays est foutu, mais on fait avec. Je cumule un double handicap, mon patronyme tout d'abord, puis je ne suis pas originaire de la bonne région. Dans notre armée, nous avons plus de cancres que des gens compétents....si tu creuses de très près, tu verras que ces cancres, souvent analphabètes, viennent d'une région bien définie. Si je savais, je ne serais jamais rentré au pays, un pays maudit...mais là c'est trop tard, j'ai une femme et des enfants...des enfants sans avenir, hélas. C'est la pire des choses, la mauvaise décision que j'ai prise dans toute ma vie, et je regrette beaucoup ». Témoignage poignant, qui me mit très mal, moi Itoua.

                                                      ça suffit

Sur le champ, nous nous échangeâmes nos numéros. Quelques jours plus tard, nous nous retrouvâmes à la cité et nous nous racontâmes nos vieux souvenirs d'Europe... entre potes, dans une ambiance bon enfant.

J’ai honte. L’armée au Congo n’est plus républicaine depuis que Sassou a décidé d’en faire l’un des piliers de son régime pour la conservation du pouvoir. Sassou distribue les galons à la pelle, sans tenir compte du niveau d’instruction de ceux qu’il recrute à tour de bras, essentiellement les natifs de sa région. Je le vis mal…très mal car Sassou nous a mis en danger dans ce pays.  

Jean Claude ITOUA.

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