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Armées africaines : armées du peuple ou refuge de criminels ?

Afrique
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Dans beaucoup d'Etats africains, surtout francophones, l'armée est avant tout missionnée pour des besognes allant du maintien de l'ordre aux massacres des populations.

 Tribune libre

Dans bon nombre de pays africains l'armée, comme Janus, a deux têtes, cependant d'importance inégale. La première est composée de la majorité des hommes en armes, non formés, aux tenues souvent défraîchies et sous équipés. La seconde qui est active, équipée et opérationnelle se limite à la garde présidentielle et ses ramifications composées essentiellement des éléments de la tribu du chef de l’État, chargés de toutes sortes de tâches. Si sous d'autres cieux, la puissance militaire est mise en mouvement pour bouter hors du territoire national l'envahisseur étranger, porter secours lors des catastrophes naturelles ou des drames touchant le cœur de la nation, sur le continent, la règle n'est pas la même.

En effet, dans beaucoup d'Etats, surtout francophones, elle est avant tout missionnée pour des besognes allant dumaintien de l'ordre aux massacres des populations.

Brutalités permanentes

 Alors qu'en France, par exemple, ce sont les forces de police et de gendarmerie qui sont venues à bout, semble-t-il, de la rébellion Corse, en Égypte, c'est l'armée qui assure le maintien de l'ordre avec des chars, occasionnant des milliers de morts à travers une répression qui se poursuit dans un silence complice.

En Algérie, après l'annulation de la victoire du FIS, Front Islamique du Salut d'Habassi Madani et Ali Bel Hadj en décembre 1991, l'ANP, l'Armée Nationale Populaire a fait couler beaucoup de sang.

En république démocratique du Congo, de réputation brutale, peu éduquées, sans équipement et corrompues, les FARDC, Forces Armées de la RDC, demeurent une insécurité permanente pour les populations qu'elles sont censées protéger. Hormis les violations permanentes des droits de l'homme, les Congolais gardent en mémoire le massacre de 150 à 2000 étudiants,dans la nuit du 11 au 12 mai 1990 au campus universitaire de Lubumbashi par la funeste DSP, Division Spéciale Présidentielle du défunt maréchal-président Joseph Mobutu. Sans oublier les plus récentes répressions suite auxquellles de nombreux Congolais ont perdu la vie alors qu'ils manifestaient pacifiquement, d'abord pour s'opposer, selon l'opposition, à l'inévitable fraude électorale, ensuite contre les résultats publiés à l'issue de l'élection présidentielle du 28 novembre 2011. A noter dans le décompte, l'assassinat,par les hommes de la garde présidentielle,de l'activiste politique Armand Tungulu, suite au caillassage du véhicule du président Joseph Kabila, le 30 septembre 2010.

Au Congo Brazzaville, en août 2011, suite à une manifestation hostile au président Denis Sassou Nguesso à Pointe-Noire, l'OCDH, l'Observatoire Congolais des Droits de l'Homme, était très préoccupée par les atteintes répétées aux Droits de l'homme. Une réaction faisant suite à desrafles de plus de 150 jeunessupposés manifestants orchestrées par les rangers de la garde présidentielle venue spécialement de Brazzaville et qui déportèrent les interpellés dans les geôles de Brazzaville. Parmi ces jeunes, Amédée Loemba Deleau fut emprisonné à la maison d’arrêt de Brazzaville plusieurs mois durant.

Les crimes de l'ancienne rébellion FPR devenue l'armée rwandaise sont bien connus, comme le souligne le dernier rapport des Nations-Unies sur le sujet.

L'armée togolaise n'est pas en reste en matière decrimes et barbaries, souvent dénoncés par les ONG.

 Au Gabon, lesrépressions militaires sanglantesde 1993, 2009 ou encore 2012 sont encore fraîches dans les mémoires.

 En février 2008, après le Burkina Faso, c'est le Cameroun qui connaissait encore d'importantestueries de l'armée et de la police ayant fait des centaines de mortslors des manifestations pacifiques contre la vie chère.

 En Guinée, les militaires commanditaires et exécutants dumassacredu 28 septembre 2009 au stade de Conakry qui se solda par la mort d'au moins157 personnes, plusieurs centaines de blessés, 131 femmes violées et 84 disparus, demeurent impunis.

 Quant aux troupes tchadiennes, de tradition très brutale, elles n'ont pas redoré leur blason depuis l'époque de l'ancien président Hissein Habré, actuellement aux prises avec la justice sénégalaise pour avoir laissé derrière lui environ40.000 morts.  

Armées nationales

Toutefois, au Sénégal ainsi que dans les pays anglophones et lusophones on trouve des armées disciplinées et professionnelles. C'est le cas au Mozambique, en Afrique du Sud, en Tanzanie, au Kenya, en Namibie ou encore en Zambie. Malheureusement, l'armée Ougandaise, bien équipée, et entraînée par des instructeurs américains s'est distinguée de manière négative ces derniers temps par la présence de certains de ses hommes parmi les hordes étrangères qui sévissent et pillent en république démocratique du Congo.

Et, au Bénin, si d'aventure le président Yayi Boni persistait à modifier la constitution pour aller au-delà de la fin de son deuxième et dernier mandat en 2016, malgré ses dires, il est certain que l'armée se transformera inévitablement, enbourreau du peuple, pourtant administrativement souverain...

Sous-traitance étrangère

La gâchette facile, le canon toujours prêt, très affûtées lorsqu'il faut mater sa Rue, cesarmées d'opérettesà l’extérieur n'osent aller au secours d'un pays frère comme la RDC, sauvagement agressée. A l'exception des rares conflits territoriaux d'antan, les bidasses africains ne sortent de leurs frontières que sur instructions venant de l'occident. Une forme pour certains de sous-traitance des intérêts occidentaux. Dès 1994, le Rwanda a été utilisé par les États-Unis dans sa nouvelle stratégie géopolitique dans la région des Pays des Grands Lacs. Bilan : près de10.000.000 de mortscongolais et environ1.000.000de rwandais. Idem pour l'armée angolaise qui a terni son image depuis sonrush génocidairedébuté en 1997 et achevé au début des années 2000 au Congo Brazzaville, à la demande d'un pays occidental. Durant cette sortie mortuaire, elle raya de la carte en vies humaines de nombreux territoires dans les régions du Pool, de la Bouenza, du Niari, de la Lékoumou et des quartiers sud de Brazzaville. Selon le député Vert Noël Mamère, il y a eu au moins50.000 morts passés sous silence au Congo Brazzaville par la Communauté internationale.

A certains endroits, l'armée n'existe plus que de nom, à l'instar de la Centrafrique, de la Somalie ou du Mali où, c'est vrai, sans l'opération Serval, le pays serait aujourd'hui couvert d'un voile. Même si certains acteurs politiques de la scène afro-européenne comme l'ancienne ministre malienne de la Culture et progressiste, Aminata Traoré, considèrent davantage qu'au Mali le pompier était pyromane, sachant qu'il tirerait profit du chaos.

Refuges de criminels

Le 14 juillet 2011, les soldats de 13 pays africains francophones ont défilé sur les Champs Élysées à l'occasion de la fête nationale française et du 50eme anniversaire des indépendances de ces Etats. Une parade contestée par plusieurs ONG, lesquelles considéraient que certaines troupes avaient participé à des répressions, massacres et crimes contre l'humanité dans leurs pays respectifs. Pas étonnant que plusieurs officiers supérieurs de certaines armées continentales soient détenus ou recherchés de manière active ou passive par les juridictions occidentales ou internationales telles que la CPI, Cour Pénale Internationale, à La Haye. C'est le cas du général congolais Bosco Ntaganda, actuellement jugé pourcrimes contre l'humanité et crimes de guerrecommis en 2002 et 2003 en Ituri à l'Est de la RDC. Pour sa part, l'ancien chef de guerre congolais, Thomas Lubanga avait définitivement été condamné le 14 mars 2012 par la même juridiction à 14 ans de prison pourenrôlements d'enfants en Ituri. Quant au général congolo-rwandais, Laurent Nkunda, passivement recherché, il serait à ce jour, selon Omar Kavota, vice-président de la société civile du Nord-Kivu, toujours à la tête de bataillons rwandais agissant en soutien des rebelles du M 23 dans les zones minières orientales de la république démocratique du Congo.

En Côte-d’Ivoire, la nouvelle armée regorge en son sein de bon nombre d'officiers supérieurs mollement recherchés par la CPI pour desmassacres, crimes de guerre et crimes contre l'humanitécommis au sein de la rébellion des ex-Forces Nouvelles. Il s'agit principalement des anciens commandants de zones appelés« com-zones »qui endeuillèrent des départements ivoiriens à partir de 2002, tout en organisant la contrebande de matières premières. Pour les experts de l'ONU chargés de vérifier l'embargo sur les armes et les diamants en Côte-d’Ivoire, ces« Seigneurs de guerre », sérieusement réarmés via le Burkina Faso, avant de descendre sur Abidjan, sont plus forts que jamais. Promus à des postes importants de la hiérarchie militaire ivoirienne par le président Alassane Ouattara, les dénommés Issiaka Ouattara, alias commandant Wattao, Zakaria Koné, Morou Ouattara, Hervé Touré, alias Vetcho ou encore Chérif Ousmane, pour ne citer que ceux-là, ont étendu leurs actions prédatrices à l'ensemble du territoire, selon ces experts des Nations Unies, qui ont remis leur rapport le 17 avril 2013.

En Afrique, ne s'encombrant guère des considérations humaines, les soldats ethommes de sangs'en prennent aussi bien au bas peuple qu'au sommet de l'Etat. Ainsi, depuis les années 1960, 33 chefs d'Etats ont été assassinés : le Premier ministre Patrice Lumumba fut dissous dans de l'acide, nombreux ont été poussés sur la route de l'exil comme Kwamé Nkrumah ou l'abbé congolais Fulbert Youlou ; un chef d'Etat a même été déporté en Europe.

La justice aux trousses

En France, une instruction judiciaire impliquant des officiers supérieurs de l'armée et de la police du Congo Brazzaville demeure pendante devant la justice de ce pays. En effet, selon l'instruction, ces galonnés seraient à l'origine de ladisparition de 353 jeunes congolais en mai 2003. Les victimes qui arrivèrent de Kinshasa à Brazzaville sous les hospices du HCR, le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Réfugiés, disparurent le jour de leur arrivée au débarcadère du Beach. Ce sont les rares survivants de cescrimes de massequi permirent à l'opinion internationale d’être informée de la disparition de ces Congolais. Le gouvernement congolais reconnaîtra la réalité de ces massacres allant jusqu'à dédommager les familles endeuillées. Pour leur part, ces dernières et les ONG telles que la FIDH, la LDH et l'OCDH comptent sur la justice française pour voir aboutir cette instruction pouractes de torture, disparitions forcées et crimes contre l'humanitéqui a subi de nombreuses interférences politiques depuis 2001. Actuellement, cette procédure suit son cours via un pôle spécialisé dans les crimes contre l'humanité, crimes et délits de guerre du tribunal de grande instance de Paris.

L’opprobre sur les militaires africains est tel qu'on y trouve même un général, chef d’État, poursuivi par la CPI en la personne du président Soudanais, Omar El Béchir. Ce dernier est sous le coup d'un mandat d’arrêt international depuis 2009 pour dix chefs d'accusation. Trois pour génocide, cinq pour crimes contre l'humanité et deux pour crime. Il est accusé d'avoir orchestré unecampagne sanguinairepour se débarrasser des tribus noires du Darfour, en particulierlestribusFour, Massalits et Zaghawa.

Humaniser l'armée

L'esprit clanique, le manque d'éthique, le peu d'instruction de certains officiers supérieurs, l'illettrisme du gros de la troupe en culotte et l'indisciplinene sauraient tout expliquer. Et, bien que les Écritures Saintes nous apprennent par Job quele sort d'un homme sur la terre est celui d'un soldat, les africains se passeraient volontiers d'ennemis embusqués au sein de l'armée qui est censée les protéger. C'est pourquoi, il est impérieux que les autorités hiérarchiques, à tous niveaux, s’attellent à mettre fin à cette relation armée-peuple de typeje t'aime moi non plusen faisant, enfin, rentrer la troupe africaine dans les rangs de l'humanité.

 Franck CANA

Ecrivain progressiste