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L’heure des comptes

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Au fond, pour les congolais, rien n’a changé depuis cinquante ans. Le pouvoir est toujours au bout du fusil, l’arbitraire toujours d’actualité, le Sud notamment le Pool toujours banni, la corruption fait toujours rage, le président est toujours le même, la Constitution change toujours selon la volonté du prince et surtout, l’on veut amnistier d’emblée constitutionnellement les crimes à venir, avant même qu’ils ne soient commis. 

La société civile burkinabè plus alerte et avertie politiquement est parvenue à chasser le dictateur qui les étouffait vingt-sept ans durant. Et, dans un admirable sursaut, elle a renvoyé le général putschiste Diéndéré à ses chères études. Non sans mal, au Burkina, le mouvement insurrectionnel vient de déboucher à une élection crédible où plus de 6 000 observateurs étrangers témoignent de la bonne tenue des scrutins.

Cependant, près de trois décennies de totalitarisme ont impacté notoirement cette société en quête d’épanouissement se voulant, d’ailleurs, le pays des gens intègres. Les stigmates du règne Compaoré influenceront nécessairement cette nouvelle ère post dictatoriale. L’élection du nouveau président issu plutôt de l’ancien pouvoir, au suffrage universel, résulte des reliquats de l’ancien régime ayant amorcé leur mutation et portés par l’énergie cinétique.

Les tentatives de retour en arrière ne manqueront point. Cependant, le message de fond appelant à l’avènement de l’ère démocratique semble entendu, davantage par les populations que des acteurs politico-militaires. La vigilance des démocrates burkinabè doit demeurer accrue et permanente afin de garantir cette marche vers la liberté. C’est avec une réelle admiration que l’Afrique centrale, confrontée à la même problématique d’éviction des dictatures, rêve d’une réalité semblable.

Au Congo-Brazzaville, il y a très longtemps que l’opposition politique réelle avait été laminée par une dictature on ne peut plus féroce. Les rares réformistes du régime étouffés puis écrasés n’ont jamais réussi à empêcher l’accaparement du pouvoir par un clan dont la tentation dynastique daigne s’afficher désormais avec extravagance. De leur côté, les réformateurs éjectés récemment du pouvoir, à l’occasion du pseudo débat sur la réforme constitutionnelle, peinent à incarner l’opposition.

En effet, se dresser devant une dictature bien huilée ayant plusieurs décennies de sévères répressions à son actif, tout en portant haut les aspirations des populations, exige d’importants sacrifices. Les devanciers du front républicain devront consentir au don de soi afin de canaliser les mécontentements des populations qui appellent de leurs vœux la fin des humiliations, le retour des valeurs cardinales et l’avènement de l’ère démocratique.

La coercivité du pouvoir de Brazzaville, exempte d’humanité, est une réelle menace pour les libertés et une tragédie pour les populations. Les avertissements relatifs au « goût du sang » sont éloquents. Le sentiment d’une détermination timorée qu’ont dégagé les deux plateformes de l’opposition, l’IDC et le FROCAD, dans cette première phase de confrontation inégale avec le pouvoir, peut se comprendre, pour une large part, au travers d’un mélange de peur, de filiation politique originelle et d’une dose immanquable de corruption.

Par ailleurs, une dictature a toujours besoin des souffre-douleurs pour impressionner, choquer et intimider les populations afin de contenir les velléités contestataires. Mais devant ce vide apparent, le pouvoir de Brazzaville s’est résolu subrepticement, sur fond de régionalisme et de tribalisme, à considérer comme opposants, hélas, des quartiers entiers ou des régions jugées réfractaires au néant politique en cours.

Nombreux sont ceux qui, à Brazza, reprochent aux réformistes du système clanique congolais de n’être pas allés aussi loin qu’ils ne l’ont été afin de chasser Sassou à la manière de Compaoré. L’on oublie souvent que la quasi-totalité des dirigeants de l’opposition officielle sont des réformistes ayant aussi servi le pouvoir. Cette filiation représente une pesanteur tant sur leur émancipation que sur leur part de responsabilité sur ce qu’il advient au pays. Ce contexte particulier, propice aux hésitations, retarde manifestement le mouvement insurrectionnel.

Si la chute du régime de Brazzaville est inéluctable, elle ne pourra être effective qu’avec une action déterminante de la rue. Les démocrates et progressistes congolais ont tout intérêt à labourer la rue par la persuasion afin de pouvoir bénéficier de la puissance de la force libératrice populaire.

L’opération de diversion sur la réforme constitutionnelle a tellement levé le brouillard dans le pays que les partisans de cette pseudo-réforme se retrouvent aujourd’hui avec une superposition de deux Constitutions telle des monstres à deux têtes. Mais le pays a besoin d’une clarification et surtout d’une rupture politiques de grande envergure afin d’amorcer sa marche vers le développement.

Quoi qu’il en soit, le pouvoir de Brazzaville doit à la population congolaise la présentation de son désastreux bilan et notamment des réponses à plusieurs énigmes sur l’état du pays. Les crimes de sang révélés récemment par la presse internationale, le scandale de l’école, le délabrement du plateau sanitaire, le non-accès à l’eau et à l’électricité,  … et quid de l’autosuffisance alimentaire et du pétrole.

Un candidat du PCT, quel qu’il soit, ne pourra se présenter devant le peuple sans se soumettre à ce devoir de vérité. Le peuple veut savoir : en près d’un demi-siècle de pouvoir, qu’avez-vous fait du pays, de sa jeunesse et de ses fils nombreux disparus ? L’omniscience et l’omnipotence du pouvoir voulues indécrottables ne sauraient exonérer son régime de cet impératif de devoir de vérité. Rendre les comptes est un acte démocratique.

Au fond, pour les congolais, rien n’a changé depuis cinquante ans. Le pouvoir est toujours au bout du fusil, l’arbitraire toujours d’actualité, le Sud notamment le Pool toujours banni, la corruption fait toujours rage, le président est toujours le même, la Constitution change toujours selon la volonté du prince et surtout, l’on veut amnistier d’emblée constitutionnellement les crimes à venir, avant même qu’ils ne soient commis. Un réel recul qui afflige les consciences tant l’on se couvre de cendre en sacralisant l’impunité.

Abraham Avellan WASSIAMA