24
Mer, Avr
0 Nouveaux articles

Genèse de l’appétence vestimentaire chez le Congolais

politique
Typography
  • Smaller Small Medium Big Bigger
  • Default Helvetica Segoe Georgia Times

L’industrie textile était d’autant plus florissante que les Kongo en général se paraient d’étoffes de facture locale appréciées même des chroniqueurs européens.

La récente publicité de la célèbre bière irlandaise Guinness1mettant en exergue l’élégance congolaise ainsi que la vidéo du musicien Fredy Massamba2dans laquelle la prestance à la congolaise s’allie à bon escient avec la musique m’ont naturellement inspiré ces quelques lignes relatives à l’industrie et l’art vestimentaire au royaume Kongo ainsi que son incidence dans la société congolaise moderne et à travers le monde.

A l’évidence, l’engouement pour le raffinement et l’appétence vestimentaires doublé d’une ostentatoire élégance chez le congolais demeurent à la fois une seconde nature et un état d’esprit, au point où ceci est perçu comme un phénomène culturel intrinsèque et endogène. Lequel remonte loin dans le temps et demeure un héritage des ancêtres kongo. N’en témoignent que ces écrits du chroniqueur allemand Léo Frobenius:“Plus au sud, dans le royaume du Congo, une foule grouillante, habillée de “soie” et de “velours”, de grands États bien ordonnés et cela dans les moindres détails, des souverains puissants, des industries opulentes.Civilisés jusqu’à la moelle desos !3

En effet, le progrès socio-économique est tel qu’au Moyen âge l’art du tissage est maîtrisé et connaît un développement exponentiel et remarquable au Kongo ainsi que dans les autres Etats de souche kongo que sont Ngoyo, Kakongo, Loango. Les matières premières classiques, à savoir le coton, la laine, et la soie, n’étaient pas utilisées pour la confection des tissus, sinon des fibres végétales provenant surtout du palmier raphiaRaphia textilis Welw.”C’est à cet effet que O. Dapper signale que :”Tous les habits de Loango sont en tissu de feuilles de palmier dont on coupe les premiers rejetons qu’on laisse sécher, puis on les ramollit et les rend souples avec du vin de palme en les frottant entre les mains4.”Pigafetta, quant à lui, consacre un long passage à cette industrie qui sait allier la compétence technique et l’exigence esthétique :“Je dois décrire l’art extraordinaire avec lequel les habitants de cette contrée et des régions voisines tissent divers genres d’étoffes comme des velours avec poils et sans poils, des brocarts des satins, des taffetas, des damas, des armoisins et d’autres étoffes semblables, qui ne sont certes pas faites de soie, puisqu’on ne connaît pas le vers à soie ; si certains s’habillent de soie, c’est de la soie importée de nos régions. Mais ces étoffes qu’on vient d’énumérer sont tirées de la feuille du palmier ; il faut maintenir les arbres bas et, pour cela les tailler, les élaguer chaque année, afin qu’à la saison nouvelle croissent des feuilles plus tendres.

Après avoir traité ces feuilles à leur façon, ils en tirent des fils, tous également fins et délicats ; plus le fils est long, plus il est estimé, car il permet de tisser les plus grandes pièces. Par des façons différentes, ils font des tissus avec le poil, à la ressemblance du velours, de chaque côté, et les draps appelés damas avec motifs décoratifs et textures variées, ainsi que les brocarts que l’on dit hauts et ceux que l’on dit bas, qui valent plus que notre brocart. De cette étoffe ne peuvent s’habiller que le roi et ceux à qui il lui semble bon de faire cette faveur. Les plus grandes pièces sont de brocart ; elles atteignent quatre ou cinq palmes de longueur, et trois ou quatre de largeur. Le brocart s’appelleincorimbasdu nom de la région où on le fabrique, qui se trouve aux environs du fleuve Vumba. Les velours ont la même largeur ; on les désigne par le motenzacas, les damas se dissentinfulas, les satinsmaricas, les taffetastangaset les armoisinsengombos… C’est de ces étoffes que l’on s’habille communément, chacun selon ses moyens. Du reste, elles sont légères et très robustes à l’eau5.”

Comme on peut le constater le palmier raphia a fait l’objet d’une culture minutieuse et laborieuse au regard du fait qu’il servait comme matériau de base dans l’industrie textile. Mais outre cet arbre, d’autres espèces végétales ont servi à la confection des étoffes de moindre importance. C’est le cas dun’sanda“Ficus psilopoga Welw.”qui fournissait une fibre résistante, employée aussi dans la fabrication de cordes, de filets et de sacs, après battage et ruissage de l’écorce. Il est ici question d’une technique assez ancienne consistant au déroulage et au battage de la première écorce qui renferme une sorte de toile. D’ordinaire, les étoffes tissées se différenciaient selon leur origine et leur facture, mais aussi selon leur valeur d’échange lorsqu’elles étaient estimées en tant que monnaie.

sape5L’industrie textile était d’autant plus florissante que les Kongo en général se paraient d’étoffes de facture locale appréciées même des chroniqueurs européens, comme en témoigne le père Laurent de Lucques:[Le prince de Soyo] nous fit cadeau de quelques étoffes de ces pays, faites de feuilles d’arbres et dont il s’habille lui-même…Il y en a de différentes sortes. Elles sont vraiment belles et curieusement travaillées. Quelques unes ressemblent tout à fait au velours, d’autres sont ornées de diverses décorations et d’arabesques au point que c’est merveille qu’on ait pu, avec des feuilles de palmier et d’autres arbres, faire des tissus aussi fins et aussi beaux, qui n’ont rien à envier à la soie6.“Ces tissus étaient également polychromes. En effet, en teignant les fils à l’avance, on obtenait des jeux de couleur d’un effet assez agréable.

De manière générale, le vêtement principal, pour l’homme, était constitué d’un pagne ou d’une espèce de kilt attaché à l’aide d’une ceinture tressée en matière végétale. Ce kilt, souvent orné d’un liséré en méandre, pouvait également comporter une traine. Manifestement, les parties nobles étaient décemment vêtues, comme le rapporte Degranpré :“ Les parties du corps qu’ils (les Noirs congos) recouvrent sont vêtues avec grâce7.“  En effet, les hommes portaient à la manière d’un tablier comme ornement et en doublure, aux parties, de belles peaux decinkanda (Perodicticus Potto)8,de petits félins et autres animaux dont on prenait le soin de laisser la forme de la tête. En ce qui concerne la femme, outre une jupe plus ou moins longue, sa poitrine étaient couverte par unempuufa“bande de tissu” dont on attachait les lanières dans le dos. On peut cependant imaginer le côté sexy d’une telle mise pour la femme kongo. Mais à la faveur d’une concurrence déloyale de la part des occidentaux, les tissus d’importation, ayant vite pris de l’importance, se sont imposés et les vêtements de type occidental ont conquis la culture vestimentaire du Kongo, au point où l’industrie textile locale développée patiemment par les ancêtres a été occultée jusqu’à sa disparition.

En somme, nos ancêtres les Kongo, avant le contact avec les Européens, au Moyen âge, étaient non seulement vêtus avec recherche, notamment avec des tissus locaux de grande facture, mais ils avaient l’élégance chevillée au corps. A l’évidence, l’élégance congolaise est la chose la mieux partagée et le congolais se veut un élégant dans l’âme, comme dirait le brésilien Paulo Coelho :“ L’élégance n’est pas une qualité extérieure, mais une partie de l’âme qui est visible aux autre. “ En effet, dans le subconscient de l’homo congolais, le crédo implacable et inaliénable se résume à : je cultive l’élégance, donc je suis. Aussi, fort de ces considérations, on peut affirmer sans coup férir que plus élégant qu’un congolais tu meurs!

On ne le dira jamais assez, de nos jours dans la société congolaise, le raffinement, la prestance, l’appétence et le sens aigu de recherche dans l’art vestimentaire sont devenus non seulement pérennes, mais poussés au maximum ou du moins portés à leur plus haut degré ; et ce, avec assimilation et intégration de codes vestimentaires occidentaux. On aura cependant compris qu’il s’agit d’un phénomène ontologique, atavique dont l’origine demeure foncièrement endogène. En corollaire, la SAPE (Société des ambianceurs et personnes élégantes) y découle naturellement. Ce mouvement, popularisé entre autres par des musiciens des deux rives du fleuve Congo et par les médias, regroupe en son sein des adeptes de la religion kitendi, perçus comme des dandys des temps modernes, en raison d’une propension immodérée pour des marques prestigieuses, donc particulièrement onéreuses.

Il convient cependant de signaler un fait non moins important, à savoir : autant la SAPE a des prosélytes et zélateurs autant elle compte de détracteurs, lui reprochant son côté avilissant et inutilement dispendieux. Mais en dépit de tout, la SAPE connaît manifestement un regain d’engouement et d’ampleur tel qu’avec la mondialisation le mouvement s’exporte à souhait et a acquis droit de cité, au point de constituer non seulement un apport culturel indéniable dans le cadre du donner et du recevoir, mais surtout revêt un potentiel certain dans la création d’emplois dans les domaines de l’industrie textile, de la mode et de la grande couture.

René Mavoungou Pambou

Ethnolinguiste de formation

Linguiste-bantuiste et chercheur en civilisation kongo

 

1http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20140113160218/

2http://www.youtube.com/watch?v=Z4SempHBkbk

3BALANDIER (G.),La vie quotidienne au royaume de Kongo, du XVeau XVIIIesiècle, Paris, Hachette, 1992, pp. 5-6.

4DAPPER (O.),Descriptiondel’Afrique, Amsterdam, 1686

5PIGAFETTA (F.), LOPES (D.),Description du royaume de Congo et des contrées environnantes, Louvain, Ed. Béatrice, 1965, pp. 36-37.

6CUVELIER (J.),Relations sur le Congo du père Laurent de Lucques (1700-1717), Bruxelles, 1953, p.56 

7DEGRANPRE, Voyage à la côte occidentale d’Afrique, fait dans les années 1786 et 1787, Paris, Dentu imprimeur, 1801, vol. 2, p70.

8Animal de la famille des lémuriens, dont la peau en fourrure sert entre autres aux pratiques magico-religieuses.

{jathumbnail off}