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Quand le cobra se mord la queue

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" La Semaine africaine ", journal catholique congolais a publié ces derniers jours un article intitulé «Commentaire : Après les dialogues, que peut faire le président de la République ? » qui traduit la confusion entretenue dans l’esprit de beaucoup de congolais à propos du « débat » artificiel suscité par le palais de la République dans un seul et unique but : permettre à Sassou de mourir au pouvoir.

" La Semaine africaine ", journal catholique congolais a publié ces derniers jours un article intitulé « Commentaire : Après les dialogues, que peut faire le président de la République ? » qui traduit la confusion entretenue dans l’esprit de beaucoup de congolais à propos du « débat » artificiel suscité par le palais de la République dans un seul et unique but : permettre à Sassou de mourir au pouvoir.

Partant pourtant d’une bonne analyse de la situation Joël Nsoni, auteur de l’article, s’embrouille dans sa conclusion, quitte même à se contredire. Lisons plutôt :

(…) Mais, le dialogue national 2015 de Sibiti lui a-t-il donné [à Sassou, ndlr] une marge de manœuvre suffisante dans la mise en œuvre de ses conclusions ? Dans le communiqué final, il est dit : « En considération de ce qui précède, les participants au Dialogue national 2015 ont, par consensus, opté pour les réformes institutionnelles et s’en remettent au président de la République, initiateur du dialogue, pour qu’il en tire les conséquences, conformément à ses prérogatives constitutionnelles ».

Or, juridiquement parlant, la Constitution ne prévoit pas de procédure de son changement. Le président de la République est lié à la Constitution, par l’article 69 relatif au serment matérialisant son entrée en fonction. Dans ses prérogatives constitutionnelles, il n’a aucun levier juridique qui peut lui permettre de prendre une initiative de nature à déclencher un processus de changement de Constitution. Le décret convoquant le référendum constitutionnel est soumis à l’Article 186 de la Constitution, qui évoque la procédure de la conformité constitutionnelle de l’initiative référendaire, par la Cour constitutionnelle. En réalité, en rappelant au chef de l’Etat de n’agir que dans le cadre de ses prérogatives constitutionnelles, le dialogue national de Sibiti n’a débouché que sur deux possibilités: le statu quo ou la révision de la Constitution(…)

Contrairement à ce que pense l’opposition, le dialogue national de Sibiti n’a pas ouvert au chef de l’Etat une voie royale pour changer la Constitution, puisque ce dialogue lui demande de n’agir que suivant ses «prérogatives constitutionnelles» (…)

Que peut-il alors, dans ces circonstances précises? Peut-il trancher en faveur de l’une ou l’autre tendance? Supposer qu’il tranche en faveur des conclusions du dialogue alternatif, qui est une initiative politique menée par un camp, les partisans du changement vont-ils lui coller la paix? Dans le cas contraire, les partisans de l’opposition vont-ils lui coller la paix ?

Il serait alors compréhensible de recourir à l’arbitrage du souverain primaire. Mais,  dans ces conditions, il faut régler la question de la légitimité du référendum de cette nature et mettre en place une gouvernance électorale qui mettra les deux camps en confiance. Le peuple pourra alors trancher, en souhaitant que les deux camps se soumettent à sa décision souveraine (...)

Notre commentaireD’un côté le journaliste de " La Semaine africaine " reconnaît  avec raison que « juridiquement parlant, la Constitution ne prévoit pas de procédure de son changement », que le président ne dispose d’ « aucun levier juridique qui peut lui permettre de prendre une initiative de nature à déclencher un processus de changement de Constitution », d’un autre côté il qualifie le respect de cette même Constitution que prônent les tenants du dialogue alternatif d' «  initiative politique menée par un camp ».

Confusion ! A vrai dire, une telle présentation, mettant les uns et les autres sur un pied d'égalité est même scandaleuse. 

Qu'on le sache : les tenants du dialogue alternatif ne prennent pas d’initiative particulière. Ils lisent simplement la Constitution dont M. Nsoni reconnaît lui-même qu’il « ne prévoit pas de procédure de son changement ». En conséquence, M. Sassou n’a pas à trancher entre la position d’un camp contre celle d'un autre.

Et pour cause ! Il n'y a pas, en l'occurrence, un camp qui s'oppose à un autre. Il s'agit, comme dans beaucoup d'autres pays d'Afrique, d'une oligarchie, d'un clan enraciné depuis plus d'un demi-siècle au pouvoir lequel, usant de subterfuges pour empêcher l'alternance, trouve face à lui un peuple qui n'aspire qu'à la démocratie et à la transparence des élections (1). En conséquence, la seule question qui se pose au dictateur de l'Alima est de dire hic et nunc s'il respecte ou non la constitution de 2002, sur laquelle il a prêté serment. A moins de verser dans une espèce d'escroquerie journalistique, il ne s'agit nullement de donner raison à un camp plutôt qu'à un autre. Nuance !  

Autres conclusions que tire de son analyse M. Nsoni, il laisse entendre que pour que Sassou ait la paix, « il serait alors compréhensible de recourir à l’arbitrage du souverain primaire ».

Autrement dit, notre confrère veut nous faire avaler l'idée qu'un violeur (de constitution) est fondé à demander au peuple, par une entourloupe, le droit de violer ou non la constitution ! Le peuple ayant voté cette constitution par référendum en 2002 M. Sassou demanderait donc au peuple le droit de le sodomiser... Terrible.

Et de poursuivre : « Mais, dans ces conditions, il faut régler la question de la légitimité du référendum de cette nature et mettre en place une gouvernance électorale qui mettra les deux camps en confiance ».

 M. Nsoni, sauf à valider l’hypothèse du coup d’Etat, patauge encore une fois en pleine contradiction.

Le référendum pour changer la constitution est illégal, c’est-à-dire qu’il n’est pas autorisé par le droit positif existant, en ce qu'il ne serait pas conforme au texte de la loi. Sur un plan politique de même, le changement de constitution ne serait pas non plus légitime, la légitimité procédant de ce qui est reconnu comme juste par tous.

On nous oppose enfin le «  souci de donner un peu plus de chance à la poursuite de l’expérience de paix et de stabilité institutionnelle qui caractérisent les deux septennats portés par le succès de la construction des infrastructures de base qui changent la physionomie du pays, boostant ainsi son développement, après des décennies de stagnation ou de progrès insignifiants », autant de faits qui légitimeraient un changement de constitution. L'argument n’est pas nouveau dans la bouche des dictateurs africains placés dans la même situation, à l'exemple de Mamadou Tandja qui, au Niger, disait vouloir " terminer (ses) chantiers ", avant d’être renversé par un coup d’Etat militaire. Encore qu’à ce sujet au Congo, le « Rapport du Bureau politique du parti congolais du travail relatif au débat sur la constitution de 2002 » faisait un constat moins flatteur du bilan de Sassou à la tête de l'Etat. Qu’on en juge :

  • L’accès encore limité à l’eau et à l’électricité dans des grandes agglomérations comme Brazzaville et Pointe-Noire en dépit des grands efforts consentis pour faire face à ces attentes ;
  • De l’accès aux soins de santé qui enregistre des problèmes réels en termes de structures, de personnels et de coûts… ;
  • Des conditions d’études et le chômage des jeunes restent des goulots d’étranglement, qu’il faut dénouer pour donner l’espoir à la majorité de la population… ;
  • La faible diversification de notre économie qui expose notre pays aux aléas de la conjoncture pétrolière internationale ».

« A côté de ces limites d’ordre économiques et social il faut lutter contre les antivaleurs (l’injustice, le favoritisme, la corruption, la fraude, les malversations financières) qui ont cours dans notre pays et qui peuvent si elles ne sont pas efficacement combattues, saper ou annihiler tous les efforts consentis pour le développement »…

Le même rapport du Bureau politique du PCT, évoquant l’hypothèse du journaliste de " La Semaine africaine " écrivait que changer la Constitution ne peut relever que d’une initiative personnelle non prévue par la Constitution. En effet, les " camarades membres " relevaient que « Le Président de la République peut, sur initiative personnelle sans concertation politique préalable, organiser un référendum en demandant directement au peuple souverain s'il souhaite ou non le changement de la Constitution actuelle. Par cette initiative, le Président engage directement sa responsabilité. Dans ce cas, il faut souhaiter que cette démarche rencontre l'adhésion populaire ».

Pour le PCT, la difficulté à laquelle se heurtait ce mode opératoire c’est que « cette démarche dont l’issue est incertaine expose le Président de la République à la critique de coup d'Etat Constitutionnel ».

En effet, argumentait-on, « L'hypothèse de changement de constitution en l'absence de circonstances exceptionnelles, ne peut être validée par la seule voie du droit. Sa faisabilité repose avant tout sur un consensus national, expression de la volonté populaire. Par conséquent, il convient de rechercher l'adhésion du corps social par la multiplication des initiatives et des contacts » au sein de la classe politique.

Ce consensus on l’a vu, n’existe pas. Le serpent cobra se mord donc la queue. Sassou a déclenché une guerre meurtrière dans le pays au seul motif que Lissouba n’avait pas respecté les délais constitutionnels d’organisation de l’élection présidentielle en 1997. Il voudrait aujourd’hui qu’on reste les bras croisés alors qu’il piétinerait toute la constitution. On verra par où il passera.

Tout compte fait, la nature étant un comptable minutieux, il sera difficile pour le dictateur infatigable d'échapper à son destin. Il est venu par la violence, il serait surprenant que, pour le faire partir, on ne soit pas obligé de le chasser de force de son palais. Une solution qui présenterait au moins l'avantage de balayer définitivement tout son clan d'un seul coup, et de mettre à jour les nombreux cadavres qui dorment dans les placards.

Ndlr. Les textes ont été soulignés par nos soins.

(1) M. Okombi Salissa, dans sa déclaration du 11 juillet 2015, l'a bien traduit :  " On dialogue pour justifier la mort des Congolais demain. On planifie la mort des Congolais, parce que les Congolais, dans leur propre pays, ne demandent rien que le respect de l'ordre, le respect de la loi. On leur a tout pris, on les a privés de tout. On planifie leur deuil parce qu'ils réclament le droit de vivre dans une société libre et démocratique (...) 

De mémoire collective, c'est la première fois dans notre pays, face à des faits évidents, face à des serments prêtés sur l'honneur et face à un droit qui n'a pas besoin d'être interprété, que des acteurs politiques entreprennent sciemment, méthodiquement, au vu et au su de tous, sous la lumière, d'organiser un assaut contre la paix, contre l'ordre, et la stabilité (...)

Aujourd'hui, pour la première fois dans ce pays, sans aucun flou, les masques tombent. On sait désormais qui joue quel rôle. On sait qui planifie les malheurs et la mort des Congolais ".