Jean Ping sur les traces de Parfait Kolelas

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En ces temps affranchis des textes institutionnels en Afrique centrale, les élections présidentielles se succèdent et se ressemblent malheureusement. Après le Burundi où Pierre Nkurunziza n’entend pas passer la main, le Congo-Brazzaville où Denis Sassou Nguesso s’accroche obstinément au pouvoir et le Tchad où Idriss Déby rejette toute idée de retraite politique, voilà le tour du Gabon d’Ali Bongo de faire les choux gras de la presse sur le registre des pays allergiques à toute alternance démocratique. La fable des élections sans fraude ayant fait long feu, Ali Bongo, à l’instar de Denis Sassou Nguesso, Pierre Nkurunziza et Idriss Déby Itno, n’a pas hésité d’user de la force pour réduire au silence les protestations qui se sont élevées dans les rues de la capitale Libreville (Marianne, 9 septembre 2016). Mais aussi - ce qui est nouveau - dans son propre camp, tel qu’en atteste la démission du ministre de la Justice Séraphin Moundounga. 

 

Ali m’a « tuer »

 

La célèbre réplique de Tancrède dans le Guépard : « Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change », aura trouvé des adeptes au Burundi, au Congo-Brazzaville, au Tchad aujourd’hui au Gabon et demain peut-être en RD Congo. 

Sous la pression de la communauté internationale et au premier chef la France, ainsi que celle d’Ali Bongo, Jean Ping, après moult hésitations, a finalement décidé de déposer un recours auprès de la Cour constitutionnelle réputée acquise à Ali Bongo. Un recours pour demander le recomptage des voix bureau de vote par bureau de vote dans la province du Haut-Ogooué où Ali Bongo l’a remporté avec 95% des voix et un taux de participation de quasiment 100%. « Mets ta patte dans ma gorge, tu vas m’aider à ôter l’arête qui m’encombre » dit le lion affamé à l’antilope. C’est ce à quoi tient également l’invitation d’Ali Bongo à Jean Ping de recourir à la Cour Constitutionnelle. Maintenant qu’Ali l’a tué, Ali va l’achever.

Mieux. Ali Bongo, vainqueur, exige également le décompte des voix dans les fiefs de Ping car il le soupçonne d’y avoir gonflé les chiffres. Dans Bird, un admirateur dit à Charlie Parker ravagé par les stupéfiants « Je te joue mieux que toi ». « Je triche mieux que toi  » semble mettre au défi Bongo/fils son ancien collègue du gouvernement Jean Ping. Ali Bongo ne manque pas non plus d’humour caustique puisque, paraphrasant de Gaulle, il ne voit pas Ping commencer une carrière de démocrate à 74 ans révolus. Né, dit-on, à Brazzaville, Ali Bongo possède la même conception du pouvoir que Sassou, père de sa tante Edith : gagner alors qu’on a perdu.

En revanche, nés pour être opposants de père en fils, ou dictateur de père en fils, d’autres aiment être commandés alors qu’ils ont gagné. Suivez notre regard.

Kolélas modèle de Ping ?

Guy Brice Parfait Kolelas, lui aussi poussé par la même communauté internationale, a utilisé la procédure de Jean Ping : le dépôt d’une requête auprès de la Cour constitutionnelle. Toutefois, les réactions suscitées par cette voie de recours ne se recoupent pas selon que l’on se situe dans l’un ou l’autre pays d’Afrique francophone où le parti pris de Paris fait autorité. Au Congo-Brazzaville, Guy Brice Parfait Kolelas, à contre-courant du général Jean-Marie Michel Mokoko, aujourd’hui emprisonné, a été qualifié de « collabo  » pour avoir déposé un recours devant la Cour constitutionnelle. Ses admirateurs ont du mal à comprendre : « Il a gagné mais on le commande ! »

Le leader du « Youki » qui s’est illustré par une communication hasardeuse, s’est attiré les foudres des plus farouches adversaires de Denis Sassou Nguesso. Jean Ping ne se prive pas d’exercer un chantage sur les magistrats de la Cour constitutionnelle. Selon Jean Ping, les neuf juges de la Cour constitutionnelle sont maintenant face à un choix entre la stabilité et l’instabilité du Gabon. La stabilité ce serait de déclarer Jean Ping vainqueur après un recomptage des voix du Haut-Ogooué. L’instabilité durable et profonde, selon lui, ce serait de confirmer la victoire d’Ali Bongo. D’après Jean Ping, un verdict favorable au président contraindrait le peuple à prendre son destin en mains, parce qu’il n’aurait « plus rien à perdre ».

En cela Ping est le contre-modèle de Kolélas lequel, après sa victoire sur Sassou soupira : « J’ai des œufs, on ne m’a pas donné mission de les casser ». Sous-entendu : il ne faut pas compter sur lui, Kolelas, pour livrer la population à la boucherie, pour provoquer une instabilité « durable et profonde » au Congo.

Les pains de Ping

Ping a ajouté qu’il se tiendrait alors aux côtés du peuple. Des déclarations de Ping qui sonnent comme celles entendues au Congo-Brazzaville au lendemain de la proclamation de la victoire controversée de Denis Sassou Nguesso, mais qui sont, depuis, restées lettre morte. Du reste, les tergiversations du Président de Youki ont laissé le temps à Sassou de se refaire une virginité. Jugez que Monsieur 8 pour cent s’est invité dans la médiation de la crise de la RD Congo et du Gabon en sus de celle de la RCA. Né avant la honte (disent les Ivoiriens) Sassou se moque d’être juge et partie dans les crises dans le Bassin du Congo.

Par ailleurs, le général Mokoko depuis sa prison et André Okombi Salissa depuis sa cachette peuvent lancer des appels au soulèvement. Ils préfèrent se murer dans le silence assourdissant.

Reste que les déclarations d’intention de Ping ne sont généralement pas suivies d’effets, de faits et de gestes. Le premier appel à la grève générale de Jean Ping a été un fiasco. En musique on dira que Ping fait des pains. Cependant les Gabonais en ont ras les patates de la famille Bongo au pouvoir depuis des décennies. Ils souhaitent tourner la page. A l’inverse de Guy Brice Parfait Kolélas, Jean Ping réussira-t-il à mobiliser les populations du Gabon pour contester la victoire d’Ali Bongo ? Au Congo-Brazzaville, un pays fortement tribalisé, la désobéissance civile s’est heurtée au clivage entre les Kongos et les Mbochis. L’appel du général Jean-Marie Michel Mokoko à ses frères d’armes a fait un flop. Le sentiment d’unité nationale est un facteur important dans la chute des dictatures. Or les fractures ethniques sont importantes au Congo ainsi que l’indique la pratique du népotisme dans la distribution des postes-clef au sommet de l’Etat. 
  
Que faut-il attendre de la Cour constitutionnelle du Gabon contrôlée par les hommes d’Ali Bongo ? Peut-elle inverser les résultats de l’élection présidentielle en proclamant la victoire de Jean Ping ? Il est permis de rêver. Les chances d’un renversement institutionnel sont minces. Curieusement, aucune voix ne s’est élevée pour fustiger la posture de Jean Ping qui est suspendue à l’avis de la Cour constitutionnelle. Cette cour est de longue date présidée par Marie-Madeleine Mborantsuo, autre compagne de feu Omar Bongo mais, contrairement à d’autres membres de l’innombrable parentèle, elle est demeurée totalement fidèle au fils. C’est comme si Ali Bongo tranchait directement.

Deux poids, deux mesures

Toute chose étant égale par ailleurs, pourquoi le recours à la Cour constitutionnelle de Jean Ping au Gabon ne lui a-t-il pas valu des articles incendiaires dans la presse comme en son temps Guy Brice Parfait Kolelas au Congo-Brazzaville ? Combien de milliards de francs CFA Jean Ping a-t-il perçu comme Guy Brice Parfait Kolelas pour déposer un recours devant la Cour constitutionnelle ? Jean Ping serait-il l’opposant le plus bête au monde au même titre que Guy Brice Parfait Kolelas ? Comment interpréter la mansuétude des moulineurs d’épithètes à l’égard de Jean Ping ? Pourquoi deux poids, deux mesures ? La situation du Gabon ne ressemble-t-elle pas à celle du Congo-Brazzaville ? La chute d’une dictature se joue les trois premiers jours de la contestation. Au-delà, le mouvement s’essouffle. Pourquoi Jean Ping n’a-t-il pas appelé à la poursuite des manifestations ? Ali Bongo aurait-il alors corrompu Jean Ping par des « nguiris  » comme, dit-on, Denis Sassou Nguesso Guy Brice Parfait Kolelas ?  

  Benjamin BILOMBOT BITADYS

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